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“Andy Warhol n’est pas un grand artiste”

Publié le 21 septembre 2010 par Marc Lenot

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Après qu’Hector Obalk eut écrit ce livre en 1990, il connut (raconte-t-il avec la verve qui lui est propre dans la préface de la nouvelle édition en 2001) “neuf ans de traversée du désert”; éreinté par Nicolas Bourriaud, Philippe Dagen et presque toute la presse (sauf Art press), boycotté ensuite par la plupart des magazines d’art, houspillé en public par Thierry De Duve et Pierre Nahon, il avait commis un crime de lèse-majesté. Il conclut cette préface ainsi : “D’un côté, la pseudo-démonstration, toujours idéologique, qui me semble illégitime. De l’autre, le jugement péremptoire (assassin s’il est contre, poétique s’il est pour) qui reste injustifié. Je continue pourtant de croire qu’il existe un autre terrain, ni pamphlétaire ni poétique, bâtard mais rigoureux, à la fois logique et lyrique, qui s’appelle la critique d’art - et qui définit ma vocation.” Voilà qui nous ramène du côté du billet d’il y a quelques jours.

Il faut relire ce livre remarquablement écrit avant d’aller voir l’excellente exposition sur Warhol 1961/1964 au Kunstmuseum de Bâle (jusqu’au 23 janvier). Il faut le relire car ce n’est pas un pamphlet, mais une démonstration logique, argumentée, détaillée tendant à démontrer que Warhol fut, pour résumer, un génie, mais un génie de la publicité et non de l’art. C’est une démonstration basée essentiellement sur les textes et dires de Warhol : l’intérêt de l’exposition de Bâle est de se baser sur les oeuvres et leurs sources, et de ne guère faire confiance aux textes, vu la propension de l’artiste à dire tout et son contraire, ou à dire le contraire de ce qu’il faisait.

Cette exposition ne couvre que ces quatre années clés de l’oeuvre de Warhol, quand il cesse d’être un illustrateur publicitaire, qu’il surmonte son complexe d’infériorité face aux artistes qu’il côtoie, le couple Rauschenberg et Jasper Johns en particulier, et qu’il décide d’être lui aussi un peintre. Au cours de ces quatre années, il élabore peu à peu sa formule à succès, reprise d’image et sérigraphie, qui, en 1964, est rodée et va l’emmener vers le succès après son exposition chez Castelli.

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C’est donc le cheminement du peintre débutant (mais graphiste de talent) vers la machine à produire des images que l’on suit ici. Certes, la peinture à la main subsiste encore pendant ces années, seul le noir est sérigraphié en général, on voit les différences du rouge de la bouche de Liz d’un portrait à l’autre, ou le rendu des moirures du métal de la boîte de soupe Campbell sous l’étiquette déchirée (Big Torn Campbell’s Soup Can (Vegetable Beef) 1962; détail à droite) . Est-ce une réminiscence de ses talents passés, une nostalgie inconsciente ou un simple souci d’économie, la sérigraphie colorée coûtant trop cher ?

La première salle comprend des toiles peintes à partir de projections murales de petites annonces trouvées dans les journaux pour les objets les plus quotidiens, mais toutes ces publicités sont des dessins, aucune photographie, alors qu’en 1960 la photographie se généralise dans la publicité américaine.  Mais Warhol vient de perdre son contrat d’illustrateur graphiste pour la Miller Shoe Company, un de ses grands clients qui a décidé de passer à la photo et n’a plus besoin de ses services. Autre intrusion du réel, la série Before and After (en haut), travail sur une publicité de rhinoplastie, alors que Warhol, trouvant son nez laid, vient de le faire refaire. Mais c’est bien sûr tout son travail, toute sa vie qui se trouvent placés sous le signe ‘Before and After’ en 1961, quand le talentueux graphiste décorateur

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va tenter de se faire accepter par
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le monde artistique new-yorkais, et réussir

 On voit ici la première de ses catastrophes, la Une du New York Mirror du 4 juin 1962 (129 Die in Jet, June-July 1962), placée dans l’alignement des embrasures et que l’on peut voir de loin, ici encadrée par deux autres catastrophes (dont celle de gauche visible en relief 3D, expérimentation sans lendemain : Optical Car Crash, November-December 1962; à droite de la porte Green Disaster #2, January-February 1963).

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Il y a aussi ce splendide exercice de déconstruction de la peinture, les tableaux à faire soi-même, et en particulier celui-ci, délibérément inachevé (Do It yourself (Flowers), June-July 1962) : qu’est-ce donc que la peinture ? Un peu plus loin, on en voit la source, le modèle, une boîte Venus Paradise avec son slogan ‘No water, no brush, no mess’, la peinture aseptisée (à droite).

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La salle qui, à partir de ses archives, présente les sources de ses tableaux est passionnante. A côté des photos de Liz Taylor de la MGM, on trouve (à gauche) ces fleurs, provenant d’une page d’essais techniques dans un magazine de photographie (variations selon l’exposition et la sensibilité du film) et une note de Warhol au sérigraphe : je ne peux payer que pour une sérigraphie des deux fleurs du haut, on fera le reste plus tard. La dernière salle en montre l’aboutissement, les grandes sérigraphies florales : Warhol est désormais lancé, la machine a trouvé son processus et son rythme. Est-il devenu ‘un grand artiste’ ?  Y a-t-il une réponse ? En tout cas, cette remarquable exposition montre les transformations radicales de Warhol pendant cette période charnière.

Très beau catalogue (en anglais et en allemand seulement, mais l’audioguide existe en français). Photos de l’auteur excepté Big Torn Campbell’s Soup Can et Before and After. Andy Warhol étant représenté par l’ADAGP, les photos de ses tableaux seront ôtées du blog à la fin de l’exposition. Voyage à l’invitation du Kunstmuseum.


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