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Ignorez-les tous ! Préface du livre d’Hugh MacLeod par Marylène Delbourg-Delphis (livre à paraître en octobre chez Diateino)

Publié le 24 septembre 2010 par Diateino

bookI’m a cartoonist – Je suis un cartooniste : c’est ainsi que Hugh MacLeod débute sa biographie sur son blog gapingvoid.com. En France, le terme « cartooniste » désigne généralement les créateurs de dessins animés américains, les cartoons. En anglais, il vaut pour tout dessinateur, qu’il s’agisse de dessinateur de presse, de bande dessinée ou de dessins animés. Ce terme vient du mot cartone utilisé par la Renaissance italienne (autour de 1508) pour qualifier les dessins préparatoires pour des peintures, des vitraux, ou des tapisseries. Même si « cartoon » apparaît dans la langue anglaise dès la fin du xviie siècle, c’est le magazine Punch qui, en 1843, lui confère son sens actuel en intitulant Cartoon, no1 : Substance and Shadow, une gravure sur bois du caricaturiste John Leech (1817-1864). Cette gravure raillait les dessins préparatoires des peintures destinées à orner les murs du Parlement anglais, en reconstruction suite à l’incendie de 1834. Depuis lors, le mot cartoon renvoie à un dessin généralement humoristique avec, souvent, des connotations politiques et sociales. La France, à la même époque, avait aussi ses dessinateurs, bien sûr, comme J. J. Grandville, Honoré Daumier, ou Charles Philipon, mais la presse française n’a pas valorisé leurs œuvres comme son homologue anglo-saxonne. L’un des rares spécialistes français du cartoon américain, Jean-Paul Gabilliet, le souligne : « La mythologisation démocratique du dessin de presse en France se cantonne au xixe siècle et s’estompe après la Première Guerre mondiale, les images n’étant plus alors considérées que comme des adjuvants de l’écrit. » Gabilliet ne manque cependant pas de mentionner des exceptions notables, comme celles, de nos jours, de Cabu et Pétillon.

Un cartooniste, un écrivain, un entrepreneur, un marketeur, qu’importe ! Un créatif… Hugh MacLeod est un cartooniste dans la pure tradition anglo-saxonne. C’est aussi un écrivain – comme en témoigne ce livre qui a accédé à la liste des best-sellers du Wall Street Journal – et un entrepreneur puisqu’il est PDG de Stormhoek USA, qui commercialise des vins d’Afrique du Sud sur le marché américain depuis 2006. C’est également un publicitaire : après ses études, il lui fallait un job qui paierait ses factures, et il l’est resté de façon intermittente jusqu’en 2004. Toutes ces activités établissent son ancrage dans ce qu’il appelle le « monde réel », la vie d’artiste comportant trop d’imprévus. Compromis quand on est un artiste ? C’est une affaire de point de vue. En fait, c’est en assurant ses revenus que MacLeod a pu faire ce qu’il voulait en tant qu’artiste, et finalement sans compromis : « La chose la plus importante que puisse apprendre une personne créative est d’établir une frontière entre ce qu’elle est prête à faire ou non. Cette limite établit l’espace de souveraineté ; elle définit votre espace créatif personnel. »

Dans ce livre, qui se lit comme une réflexion autobiographique, Hugh MacLeod partage son expérience et ses points de vue. Que vous soyez artiste ou entrepreneur, votre impératif est de défendre votre espace de liberté et de souveraineté : c’est ce qui vous fait aller de l’avant, vous pousse à innover, à trouver cette autonomie qui vous libère de la tyrannie des autres, que ce soient les amis qui vous voient d’une certaine façon, toujours la même au cours des années, ou les collègues qui vous placent dans une certaine catégorie, celle qui les arrange professionnellement ou qui correspond aux stéréotypes auxquels ils adhèrent. Donc, si vous êtes un artiste, ne vous enfermez pas dans les clichés romantiques du génie incompris prêt à mourir de faim pour l’amour de l’art ; si vous êtes un entrepreneur, évitez les buzzwords et chantez de votre propre voix. Votre but est certainement de vous faire reconnaître, mais vous avez plus de chance d’y parvenir en acceptant fréquemment la solitude et en travaillant d’arrache-pied. « Ignorez-les tous », « Fermez-la et allez-y. Le temps n’attend personne. »

Le succès pour MacLeod n’est pas venu du jour au lendemain. Il en est l’artisan. C’est un succès gagné par le travail, la patience et l’utilisation de la plateforme d’expression qu’est le Web. MacLeod aurait pu attendre de se faire « repérer » sur les médias papier traditionnels. Il a préféré « créer sa chance ». Son indépendance lui a fait s’autopublier dans son « journal », à savoir son blog : gapingvoid.com. Hugh MacLeod est un cartooniste dans la tradition anglo-saxonne, certes, mais selon ses termes à lui, sur une tribune ubiquiste.

Un artiste…

Ignorez-les tous se présente comme deux livres en un. C’est un texte, bien sûr. Mais c’est aussi une collection de cartoons à apprécier indépendamment, qui racontent une histoire légèrement différente, même si les dessins illustrent parfois le texte. Ils offrent une tout autre dynamique, fixant avec acuité la précarité des idées, des sentiments et des impressions, comme la variabilité des points de vue : « L’une des raisons pour lesquelles je me suis lancé dans le dessin de cartoons était que je pouvais les transporter avec moi […] Si, en marchant dans la rue, il me prenait une soudaine envie de dessiner quelque chose, il me suffisait d’aller sur le banc ou au café le plus proche, de sortir une carte blanche et de m’y mettre. Facile […] Auparavant, quand je faisais des œuvres plus grandes, à chaque fois que j’avais une idée en marchant dans la rue, je devais abandonner ce que je faisais et retourner à mon studio avec l’inspiration qui me trottait dans la tête. Neuf fois sur dix, l’inspiration avait disparu à mon arrivée. »

Ces cartoons sont un monde en eux-mêmes. Alors que les mots ont parfois du mal à véhiculer l’intensité d’une pensée, les vignettes l’expriment clairement, avec la vivacité et la clairvoyance de l’inspiration du moment, révélant instantanément comment MacLeod voit le monde qui l’entoure, qu’il soit personnel ou professionnel, ce qu’il aime comme ce qu’il déteste, humoristiquement ou ironiquement selon les cas, presque toujours avec une tonalité iconoclaste et libertaire. Alors que le livre martèle compulsivement l’urgence de retrouver en soi le leadership personnel et la pulsion créatrice pour se libérer des contraintes et des conventions, les dessins témoignent de cette urgence avec netteté et sûreté, comme le fait aussi la tournure laconique des textes qui les accompagnent. Les cartoons de MacLeod ont une inspiration hypergraphique lettriste à la Isidore Isou et une énergie situationniste à la Guy Debord. Dans les cartoons d’Ignorez-les tous, comme dans certaines de ses illustrations de livres, ceux de Seth Godin, celui de Nilofer Merchant, The New How (Le Nouveau Comment), ou celui de Barrie Hopson et Katie Ledger And What Do You Do ? (Et qu’est-ce que vous faites ?), le message est clair : sortez de ce que Guy Debord appelait « la société du spectacle », prenez en main votre destin, construisez et innovez : « Les seules personnes qui peuvent changer le monde sont celles qui le veulent. Et ce n’est pas le cas de tout le monde. » Ou poursuivez une grande tradition en la faisant vôtre et en l’enrichissant de votre patte, comme le fait MacLeod. Il est, dit-il, « texan » mais de père écossais, et il a beaucoup vécu en Grande-Bretagne. De fait, son inspiration a quelque chose de très européen. Par moment, vous penserez au coup de crayon de Paul Klee, à des enchevêtrements à la Hundertwasser, à des postures à la Ronald Searle, aux foisonnements à la Sempé où « rien est simple » et « tout se complique », et les traits-fil de fer surmontés d’une boule noire, d’un cercle blanc ou d’une spirale, vous évoqueront peut-être les effets de tensions, d’attraction ou de répulsion des mobiles de Calder, comme poussés à l’extrême. Dans tous les cas pourtant, vous trouverez un style bien personnel, où sur une surface réduite au format d’une carte de visite, l’artiste expose le grand espace de ses expériences et de son imaginaire combinés, avec l’impertinence et la bienveillance cynique des meilleurs cartoonistes de l’histoire.

Marylène Delbourg-Delphis interviendra à La Cantine mercredi prochain à 14 heures sur le thème suivant : “Démarrer son entreprise : rêver et tenter avec force et armure”.

Cette préface est également disponible sur son blog en langue anglaise.


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