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Larry Clark : censure ou précaution ?

Publié le 25 septembre 2010 par Marc Lenot

Donc,l’exposition Larry Clark, qui ouvre dans quelques jours au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (et dont je rendrai compte alors) est interdite aux moins de dix-huit ans, et on entend de toutes parts les cris de ‘censure’, ‘censure !’.Les Verts profitent de l’aubaine pour attaquer Delanoë et bien des journalistes politiquement corrects en rajoutent, critiquant la direction du Musée et la Mairie de Paris.Mais c’est au pied d’un autre arbre qu’il faudrait aboyer, comme on dit en anglais, une autre cible qu’il faudrait viser, me semble-t-il.

Que dit la loi ? Une loi de mars 2007 punit ”le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine”. Est-ce le cas ? Même si Larry Clark a déjà été exposé sans limite d’âge au Forum des Halles en 1992 et à la Maison Européenne de la Photographie en 2007, un juge peut tout à fait estimer (en son âme et conscience) que c’est ici le cas. Et, à la (détestable) Biennale de Lyon 2007, les photographies de David Hamilton (infiniment plus soft que celles de Larry Clark) étaient déjà interdites aux mineurs.

En effet on n’a pas oublié l’affaire de Bordeaux, et la mise en examen descommissaires de l’exposition ‘Présumés Innocents’et du directeur du CAPC. Face aux offensives conservatrices (et Larry Clark est bien ‘pire’ que Murakami), face à l’obsession puritaine qui a envahi notre monde (souvenez-vous des attaques contre Frédéric Mitterrand), face au principe de précaution dont font preuve les juges, au diapason de la société suspicieuse (voir la récente décision d’Air France de ne pas placer de mineurs non accompagnés à côté d’adultes dans les avions), est-il étonnant qu’un directeur de musée, qu’un commissaire d’exposition souhaite ne pas s’exposer à des poursuites ? Y a-t-il beaucoup de fonctionnaires qui prennent ce type de risque ? Et quand l’un ose s’élever contre le consensus dominant (voir, dans un autre domaine, tout aussi pesant, le cas du sous-préfet Bruno Guigue), n’est-il pas sanctionné, et par sa hiérarchie, et par l’opinion publique dominante ?

On me rétorquera qu’il faut lutter contre ce nivellement des esprits, cette autocensure. Outre qu’un combat touchant à la sexualité des mineurs n’est sans doute pas aussi aisé que la lutte contre la torture ou la colonisation, ou les lois anti-avortement, il me semble que ces luttes sont davantage du ressort du privé, des éditeurs, des centres d’art indépendants, des salles de cinéma, prenant courageusement position, que du ressort des institutions publiques, nécessairement plus contraintes. Historiquement, les éditions interdites (Jean-Jacques Pauvert), les boycotts (cinémas Utopia), les programmations sauvages, les appels à la rébellion (manifeste des 121) n’ont guère été le fait du secteur public.

Nous vivons dans un climat où l’expression est bridée dans certains domaines sensibles, comme la sexualité non-adulte et l’apologie des drogues dures (un autre exemple serait la loi Gayssot, spécificité française empêchant la recherche historique). Dans cettefrilosité ambiante, est-il étonnant qu’une institution fasse au mieux pour échapper à un éventuel procès ou à une décision judiciaire de fermeture ?C’est auprès des juges et auprès des législateurs qu’il faut protester, plutôt qu’auprès du Maire ou du Directeur du Musée.

Quant à la décision ubuesque de faire publier le catalogue par la galerie londonienne de Clark, car Paris Musées, craignant les poursuites, s’est défilé, c’est le monde à l’envers : lointaine est l’époque où Joyce et Wilde venaient se faire éditer en France. N’y a-t-il pas eu un éditeur français courageux (privé) pour oser braver la censure ? Pour juger de la ‘liberté’ britannique, rappelons que, sans le moindre remous, l’exposition Seduced au Barbican fut interdite aux mineurs.

Rendez-vous après le 8 octobre pour ‘juger sur pièces’. Nous verrons aussi alors quels journaux et quels sites d’information oseront risquer d’enfreindre la loi et publier des photographies ‘potentiellement illégales’ de Larry Clark (Slate, par exemple, est hyper-prudent, ne mntre qu’une photo assez innocente et, pour les autres, se réfugie derrière l’hypocrisie des liens vers d’autres sites) ; vous en trouverez ici, bien sûr, et ce blog ne sera pas interdit aux moins de dix-huit ans.


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