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La correspondance de Matzneff

Par Marcalpozzo
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A l’heure d’Internet, on est nombreux à revenir à la correspondance épistolaire. Nous ne débattrons pas de ce point ici, mais il est vrai que Matzneff, ayant découvert, bien malgré lui, le courrier électronique en 2006, trouve, dans ce nouveau phénomène, un événement littéraire qu’il entend marquer d’une croix rouge.

Matzneff d’abord balbutie : « Si je t’écris trois fois le même émile, c’est parce que je n’étais guère sûr de la justesse de la manœuvre. » (Les émiles de Gab la Rafale, roman électronique, Ed. Léo Scheer, 2010) Puis il entretient progressivement, une correspondance, avec ses amis, ses éditeurs, ses maîtresses, les journalistes, aussi riche qu’il avait pu avoir dans le passé, lorsque l’ensemble du courrier était distribué tous les matins dans notre boite aux lettres par le facteur.

Nous sommes donc là à l’ère de l’électronique. Gab la Rafale lance le premier jet entièrement virtuel. Il n’a désormais plus ses si célèbres carnets noirs. Guère plus de cahier ou de feuilles volantes. Plus de crayons, de stylo ni de porte-plume. Ce livre est désormais le premier de Gabriel Matzneff. Le premier qui n’exista jamais en papier. Qui fut entièrement rédigée dans la petite fenêtre de la boite électronique.

Les mots, dit-il, ont soudain « jaillis ». Son cœur et son cerveau se sont alors mis à parler autrement. On sait combien Gabriel Matzneff a pris soin, tout au long de sa vie, de dater les événements, les rencontres, les conversations, les ruptures, les réconciliations. C’était écrit dans ses carnets noirs au jour près. Aujourd’hui, il les consigne à la minute près. Le ton, la forme, l’humeur, les soubresauts. Tout est là, livré au lecteur, in extenso.

On y retrouve alors tout Matzneff. Ses livres, sa pensées, son art de vivre, sa philosophie. Le Matzneff qui travailla toute sa vie à bâtir une œuvre et une pensée unique, édifiée dans l’esprit de la liberté et de l’engagement, se retrouve ici, sondée, explorée. C’est un Matzneff plus réel encore que le Matzneff des carnets. Il nous offre là un « électrocardiogramme », un « sismographe », tel qu’il le dit lui-même dans sa Préface. C’est un Gabriel Matzneff qui ne se livre plus par l’écriture, mais qui est livré par l’écriture. Celle de la rapidité, de la concision, de la promptitude et de la soudaineté. L’écriture électronique a remplacé le temps du papier, celui des variations, des modifications, des écarts. Le rythme est ici désormais vivace et direct.

Certes. L’homme de lettres ne change pas. Il n’a jamais hésité à se montrer de par la passé dans son entière vérité. Ses émiles font ici foi de cette habitude. On y retrouve alors le visage d’une destinée. Celle d’une vie librement choisie, cheminant au jour le jour, bohême et non-conformiste.

Aussi, Matzneff baptise-t-il sa correspondance de roman, comme si le Matzneff était là plus réel que nature. C’est surtout une pirouette. Une pirouette pour exprimer une vie entière, dont le caractère singulier, la marque particulière est d’être plus romanesque encore qu’un véritable roman. De fait, à la lecture de ce nouvel opus, on ne peine pas à le croire.

(Paru dans Le Magazine des livres, n°26, Sept-Oct 2010)


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