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Temps mort, de Paul de Brancion (par Tristan Felix)

Par Florence Trocmé

 

De la mort du temps au temps du mort 
 

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Ce qui est mort n’est pas ce qui, en apparence seulement, n’est plus vivant. C’est, comme l’angle où l’on ne voit pas, ce qui échappe à notre perception, à notre conscience et, s’il est alors question du temps, à ce que la conscience elle-même a inventé. Car le temps est bien une de ces merveilles de néant, imaginée pour tenter d’apprivoiser en la scandant notre parfaite inutilité ou gratuité. La danse, elle, incorpore le rythme, elle tue le temps, en le martelant - mais nous le dirons ailleurs. 
La poésie, au dos de la science même, alors qu’elle opère de tout autre manière mais dans un but identique, est le lieu privilégié d’une expérience du sentiment du temps et de la mort, éclos du même œuf.  
Temps mort est le titre choisi par Paul de Brancion pour rassembler les jumeaux. Le singulier y marque la gravité d’une suspension à la méditation : le poète se retire de la course pour écrire et participer, avec son rythme et sa mélodie à lui, à ce qui est, si on l’abstrait de l’invention du temps. Temps contre temps, donc, et non pas dissolution dans une flasque rêverie : 
 
Car le temps c’est la mort omniprésente, et sa soudaine précision, la survenue d’un savoir obscène. 
L’heure et le jour où nous devancerons l’appel à l’effroi de cette affirmation d’assurances morbides.  
 
Le singulier du titre exige par là même du recueil la précision de pensées-poèmes qui traitent, comme des anticorps, d’égal à égal avec le temps ; car l’effroi s’inscrit dans le corps et l’esprit comme un cancer à brûler, après l’avoir radiographié: 
 
Ils n’ont rien laissé, même pas l’os blanc des songes (bouilli), 
revenu de ses anciennes amours avec la chair autour de lui. 
Il ne sait même pas comme ils souhaitent être nommés, les rongés du temps factice qui ont dérouté l’axe du levant et du couchant, jusqu’à rendre nécessaire 
une recalculation totale des angles ouverts jusqu’à l’obtus. 
 
L’ensemble est divisé en deux sections équilibrées ; la première, La stratégie du crabe, comprend vingt-huit textes, la seconde, L’os blanc des songes, vingt-six : les deux derniers, sans verso, roulent l’ourlet du temps, en mourant - jusqu’à l’image d’un bédouin portant le corps d’un enfant, mort dans les bombardements
 
La méditation poétique est un exercice difficile, voire ingrat, qui souvent décolle le poétique du méditatif. Or, dans Temps mort, la greffe a pris : 
 
Il décrit cet incomparable célibat du monde, 
ce léger passage 
où, suspendue, demeure une possibilité d’exister. 
Elle est là, secrète, dérobée à nos regards comme  
le principe même dont tout renouveau est attendu 
 
Voici un ouvrage que l’on peut porter en soi, emporter avec soi comme un viatique. 
 
par Tristan  Felix 
 
Paul de Brancion 
Temps mort, 
éd. Lanskine 
10€ 
 


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