Samedi 12 juin 2010 - Le jour le plus long, l’apogée de ce travail, a commencé bien mal : les détenus devaient arriver à 8 heures 30, mais une panne de réveil de Romain, l’animateur du SPIP, fait qu’ils ont attendu en détention 3 longues heures, au point que l’un d’entre eux, désespéré, voulait retourner dans sa cellule. Enfin les voilà, à 11h15, l’animation du matin sur les techniques théâtrales fut écourtée considérablement. Les retrouver hors de la prison change considérablement la perception que nous avons de chacun, une atmosphère de détente, l’envie de communiquer à l’extérieur, nos téléphones servent à appeler les familles. Après le déjeuner pris avec toute l’équipe, les familles arrivent, et nous vivons le premier moment d’émotion de la journée : Mostepha, un jeune gars charmant, découvre sa fille née, il y a 3 semaines, et qu’il n’a pas voulu voir en détention. Les épouses, les parents, les enfants envahissent le jardin du théâtre, puis à 16h, c’est la répétition avec un groupe d’Atout Majeur, une association de réinsertion d’Ivry avec laquelle nous avons déjà fait de nombreuses actions Padox dans la ville. Il faut les mêler dans le spectacle, dans ce nouveau lieu que nos Padox de Fresnes découvrent. Hélas, l’un d’entre eux est sorti, a abusé de l’alcool, et revient complètement ivre à la répétition. Je suis obligé d’être dur, pour resserrer les rangs, provoquer une prise de conscience de l’enjeu du spectacle du soir. Romain, l’animateur, me dit qu’il ne peut rien, qu’ils sont en permission non surveillée, et le Directeur du SPIP confirme que nous sommes obligés de leur faire confiance. Cet électro-choc soude les détenus entre eux, qui décident d’encadrer Kim, dont on découvre qu’il est gravement toxicomane. Le spectacle arrive. La salle est pleine. Pendant le discours de Leila Cukiermann, la directrice du théâtre, un grand bruit en coulisse, Kim s’est effondré. Outre l’alcool, il a pris une drogue dure. Je suis à la régie, on m’apprend que Robert, qui est en permission depuis deux jours et qui est venu répéter à 16h, n’est pas de retour. Un drogué complètement KO, et un absent, voilà la situation de départ. Mais avec l’aide forte et efficace de notre équipe et de trois régisseuses du théâtre qui nous assistent efficacement en coulisse, les détenus s’organisent, Ahmed prend en main la redistribution des rôles, et le spectacle commence. Oh bien sur, il y a des moments curieux, un Padox titube, mais en coulisse, l’auto organisation fonctionne, Gaëlle, notre amie comédienne venue en renfort, remplace les manques au pied levé, avec son amie, Sarah et Corinne, autres comédiennes bénévoles, elles apportent leur savoir faire d'actrice et leur attention aux détenus. Ceux-ci donnent une énergie jamais vue, ils jouent « à fond » selon l’expression du grand Souleymane, un Bambara d’une gentillesse superbe, grand et athlétique. Tous, même Cédric, le trublion, tiennent leur place, le spectacle engendre une forte émotion dans la salle qui les acclame, non par politesse ou par commisération, mais avec une sincérité tangible. Beaucoup de spectateurs que nous voyons ensuite ont les larmes aux yeux. La joie éclate en coulisse. On sent le bonheur d’avoir été au bout, la fierté d’être reconnus, pris en considération, valorisé. On a beaucoup de mal à se quitter, on demandera de les retrouver dès que la vidéo prise hier sera montée pour regarder le résultat ensemble. Oui, Souleymane, tu as assuré. Oui, Cédric, je t’écrirai, et surtout, réponds- moi. Oui, Ahmed, ta gentille femme qui pleure à chaudes larmes peut être fière de toi. Oui, Aimé, on se retrouvera en Guadeloupe, où avec Jeanne nous animerons un atelier d’écriture et la réalisation d’un spectacle avec des détenus, mais tu seras un homme libre. Oui, Justin, le Guyennais, géant au bon sourire, tu as été un superbe acteur. Oui, Désiré, le congolais, tu as bien aidé en coulisse, empêché de jouer Padox par ton asthme. Oui, Douta, le joueur de tamtam, le Wolof, tu as une belle présence. Robert, on t’a regretté. Pourvu que tu ne te sois pas laissé entraîner. Merci Djamela qui a porté cette aventure, qui a appelé les familles, organisé avec le SPIP les détails nombreux, délicats de cet atelier. Merci à toute notre équipe, très particulièrement à Jeanne qui a été la confidente de nos gaillards en mal d’affection, les a chouchoutés en apportant ses tartes et ses chouquettes, et les a impressionnés en étant leurs voix multiples des Padox. Merci à Delphine, David et Félicien qui avec patience et attention ont porté le projet, aidés par Corinne, Gaëlle et Sarah, immergées brutalement dans ce milieu tellement inhabituel pour des comédiennes. Dimanche matin, en rangeant le matériel, toute notre équipe disait son plaisir d’avoir participé à ce moment exceptionnel, émouvant, inoubliable.
Dominique Houdart
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