Le hameau du XVIème siècle a été bâti sur une petite hauteur, à l’écart des marécages que créaient les débordements du Rhône jadis, quand il n’était pas encore endigué et qu’il s’étalait dans toute la plaine comme un gros lézard diapré.
Cet ensemble de charmants édifices anciens a les caractéristiques idoines. Un cadran solaire orange est peint sur une façade. On a accroché des grilles aux fenêtres et des lanternes aux murs. Le château, les écuries, la cour pavée et les fières tours carrées ont été refaits par la ville qui en est propriétaire. Le tout, impeccable, doit promouvoir la culture, les arts et la gastronomie régionale.
L’établissement phare du château est un restaurant. Spécialisé, estampillé local, voué à la défense du terroir, il se fait une gloire de raclettes au lait cru et propose des assiettes de fromages, de petit lard, de jambon et de viande séchée.
A côté, une œnothèque se vante d'être un autre bastion du bien-vivre et de la qualité. La pratique viticole se perfectionne. L’empirisme cède face aux procédés modernes. Dans le vent du progrès, l’œnothèque éduque des fidèles par ses bulletins et ses conférences. Ils fréquentent des cours, animés par une flamme pure, reniflent des arômes, apprennent les expressions réglementaires. Beaucoup de sérieux et d’application solennise leur approche. On y lit quelque chose de religieux et de judiciaire.
Avec eux, chaque dégustation est une cérémonie. Les verdicts qu'ils émettent semblent des paroles d'oracle. Ils prennent des notes sur de petits carnets qui ne les quittent pas, flairent, jugent, tranchent...
La galerie se trouve quelques fenêtres plus loin. L'attachement que j'ai pour elle est lié à des projets d'avenir: dans quelques années, elle exposera mes toiles. Je suis bien décidé à me servir du vernissage pour établir des contacts, les peintres qui y ont été accrochés m'ont d'ailleurs servi de maîtres. J'ai longtemps considéré leurs œuvres avec beaucoup d'attention, de sérieux et d'envie de comprendre.
Mais les études d'histoire de l'art m'ont rendu difficile, et ma ferveur de jadis me semble dorénavant du temps perdu. Mes nouvelles connaissances universitaires prouvent que c'était souvent accorder beaucoup d’honneur à des épigones qui puisaient avec retard dans l'abstraction lyrique, le cubisme, l’expressionnisme ou le pop art.
Ces nouveaux préjugés sont d'ailleurs souvent contredits par mes goûts. Je le constate en voyant les tableaux de Sinerrois sur les murs: j'admire encore certains d'entre eux dont la technique ou les intentions peuvent sembler obsolètes. Il suffit qu'ils me plaisent par leur charme, le talent de coloriste du peintre, l'univers personnel qu'ils expriment...
Extrait de Le Blues des vocations éphémères,
à paraître aux Editions de L'Aire le 13 octobre