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Arretxea : une rare et belle rencontre

Par Eric Bernardin

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Une centaine de kilomètres plus à l'ouest de Jurançon, et l'ambiance est totalement différente. Il faut dire que l'Océan est plus proche et les Pyrénées... plus atlantiques. Le paysage revêt des formes plus arrondies, plus accueillantes, avec une palette impressionnante de verts.

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J'ai rendez-vous avec Michel et Thérère Riouspeyrous, qui ont créé il y a un peu plus de 20 ans le domaine Arretxea (= la maison de pierre). Mais c'eût été trop simple d'y arriver sans faire un petit détour. Ayant rentré dans mon GPS "Jauberriborda", j'atterris dans une ferme du même nom, dominant le village. 

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Ca m'a permis de prendre une photo sympa :

moutons

Les fermiers n'ont pas été surpris lorsque je leur ai demandé où se trouvait le domaine Arretxea. Je ne suis pas le premier à suivre aveuglément mon GPS. Les Riouspeyrous habitent tout en bas de cette même route, au coeur du village : je tourne à gauche, et après, c'est tout droit ;o)

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Nous y voilà !

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Le chien est un modèle de non-agressivité :o)

Michel et Thérèse m'accueillent avec hospitalité : alors que Michel me propose de visiter les  vignes, Thérèse me demande ce que j'aimerais manger à notre retour pour le déjeuner. Je lui dis de faire simple, avec des produits locaux que je serai ravi de découvrir. 

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Nous sommes au pied de la chapelle qui domine le village. Cela nous donne un point de vue sur une bonne partie du vignoble d'Irouléguy. Celui-ci était très prospère au Moyen-Age car les pélerins de Compostelle étaient beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui : l'abbaye de Roncevaux devait servir du vin à plus de 100.000 personnes par an. Mais comme le climat n'était guère favorable autour de celle-ci, les vignes ont été planté dans ce vallon isolé des vents du nord et d'ouest, sur des coteaux bien exposés au sud/sud-est. Au total : 1.400 hectares ! 

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En 1659, le traité des Pyrénées fait évoluer les frontières :  Roncevaux devient espagnol alors qu'Irouléguy reste en France. Les vignobles sont rendus aux habitants. C'est le début d'un déclin progressif qui s'accentuera avec le phylloxera qui n'arrive ici qu'au début du XXème siècle (alors qu'il est présent en France en 1862). Les quelques vignerons restants regroupent leur force au sein d'une coopérative. En 1953, Irouléguy devient un VDQS. Puis en 1970, une AOC. 

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Il faut toutefois attendre la fin des années 80 pour voir le vignoble vraiment renaître. Alors que les rangs de vigne étaient plantés jusque là dans le sens de la pente, rendant le travail délicat, des terrasses sont édifiées, permettant une mécanisation des tâches. C'est à cette période (1989) que Michel abandonne son travail de professeur au lycée agricole (en zootechnie, pas en viticulture) pour se lancer dans l'aventure. Le domaine familial compte quelques vignes (en mauvais état), mais vit essentiellement de l'élevage. Il achète du matériel en commun avec un domaine voisin (Brana) et se lance avec sa femme dans l'aventure viticole. Comme au Clos Lapeyre, le succès grandissant permet d'abandonner progressivement la polyculture au profit de la vigne.

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fenouil sauvage

Dès le départ, la volonté des Riouspeyrous est de cultiver le domaine en bio. Quelques années plus tard, ils se convertissent à la biodynamie. Mais Michel est un scientifique à la base : il aime comprendre les mécanismes qui régissent les relations entre la terre et les plantes. Un travail sur l'ensemble de l'appellation est réalisé avec Yves Hérody pour mieux connaître les sols et sous-sols afin de les potentialiser. Cela passionne Michel qui applique avec succès les conseils du chercheur, quitte à renoncer aux dogmes chers à la bio : ainsi, Hérody incite à utiliser de la matière organique fraîche pour stimuler et multiplier les micro-organismes plutôt que des vieux composts qui leur mâche le travail et les rend fainéants. Ainsi, durant l'automne et l'hiver, un troupeau de moutons passe de parcelle en parcelle, tondant l'herbe et laissant sur place leur précieux caviar.

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La discussion avec Michel à ce sujet a été passionnante, car d'aucuns voudraient nous faire croire qu'il suffit d'être en bio pour avoir des plantes et des sols équilibrés. C'est en fait beaucoup plus complexe que cela, et certains "bio-cons" qui tire à boulet rouge sur la science ferait mieux de l'utiliser à bon escient.

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A noter que les études de sols n'ont pas seulement été menées sur les 240 ha de vignes de l'appellation, mais aussi sur les 750 ha non encore exploités.  


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La parcelle ci-dessus est peut-être la favorite des Riouspeyrous qui l'ont nommée Amalur (la "terre mère"). Non seulement l'ambiance qui y règne est magique ("on n'a plus envie d'en redescendre" dit Thérèse) mais sa composition géologique est exceptionnelle : Yves Héroudy n'a rien vu de tel dans toute sa carrière.

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Nous sommes ensuite allés au bâtiment technique (hangar à matériel + chai). Le plus impressionnant est peut-être le matériel qui sert à entretenir les terrasses, mais aussi le chenillard qui permet de circuler dans des endroits difficiles, même les lendemains de pluie (sans tasser les sols). A noter aussi une pompe péristaltique (toute douce pour le raisin comme pour le vin).

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Ceci dit, dans la majeure partie des cas, les raisins sont vidés dans les cuves par gravité après un passage sur une table de tri et un éraflage. Si la cuvée tradition est élevée en cuve, les cuvées Haitza et Hegoxuri passent en fûts de taille variable.

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Il n'y a pas de règle de durée d'élevage. La preuve : les rouges 2009 ont été mis en bouteilles avant les 2008, qui n'ont pas encore trouvé l'harmonie désirée.

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Cette cuve sert à récupérer les eaux de pluie pour les traitements BD.

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L'air de rien, nous sommes partis depuis deux heures de la maison. Nous rentrons pour le repas que nous a préparé Thérèse. Michel a un rendez-vous dans l'après-midi à Madiran, il ne faut pas trop traîner...

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C'est aussi le moment de déguster les vins : je suis tout de même venu aussi pour cela... Je goûte les blancs avant d'attaquer la truite fumée, car celle-ci risque de modifier ma perception (ce qui ne m'empêchera d'apprécier ensuite les deux ensembles).

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Hegoxuri 2009 : robe or pâle. Nez discret sur la pomme chaude, le miel, avec en arrière plan des notes minérales (pierre humide). Bouche d'une bonne ampleur, avec quasiment de suite une sensation de mâche tannique surprenante pour un blanc. Cela reste néanmoins gourmand, et se conclue sur une finale positivement astringente. Il me semble beaucoup trop tôt pour le juger. Dans deux ans, on reparlera...

Hegoxuri 2008 : nez fin, complexe, sur la roche "fumée", le beurre, la truffe. Bouche ample, intense, avec une matière mûre et dense, et une sensation pierreuse qui monte crescendo pour ne finalement ne sentir plus que cela. Impressionnant ... et persistant.

Hegoxuri 2007 : nez bien mûr sur la pomme chaude, la pêche, avec une pointe de truffe. Bouche ronde, ample, avec una matière riche, grasse, parfaitement équilibrée par une acidité tranchante comme une lame d'acier. Finale expressive sur une belle mâche "calcaire". 

Hegoxuri 2006 : nez plus doux, zen, bien marqué par la truffe. La bouche donne la même impression de calme et de douceur, sans la tension et l'acidité du 2007. C'est néanmoins bien équilibré. La finale réussit même à être fraîche tout en laissant une légère impression de sucrosité.

Hegoxuri 2004 (n'a pas eu l'agrément) : nez sur la pomme séchée au soleil ... et la truffe ;o) Bouche friande, gourmande, légèrement frizzante, avec une mâche savoureuse. Un vrai régal !

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Un vrai régal que cette truite fumée élevée artisanalement à Banca. Une chair dense, savoureuse, avec un fumage doux d'anthologie (au hêtre local). Les Riouspeyrous qui voient que je me régale insistent pour que je me resserve. Ce dont je ne me suis pas privé..

Le Serrano issu de truies de montagne est tout aussi génial. A mon goût supérieur aux Bellota que j'ai pu goûter à 3-4 reprises. J'hallucine lorsque j'apprends le prix auquel ils l'ont acheté : 13 € le kg !!! Quand je vois les m... qui sont vendues à ce prix là un peu partout, ça laisse songeur...

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Avec le jambon, nous avons bu le rosé 2009 du domaine. Une belle couleur "framboise écrasée". Un nez assez discret. Une bouche fraîche, fruitée, intense, avec une belle mâche. Finale expressive dominée par la fraîcheur.

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La piperade est bien sûr incontournable. Je pensais que ça se servait toujours avec des oeufs. En fait non, puis que nous la mangeons avec des spaghetti. Et nous attaquons les vins rouges !

Tradition 2009 : nez mûr, doux, gourmand. Bouche douce, pleine, savoureuse, avec des tannins bien veloutés, et surtout un fruit très pur. Un régal dès aujourd'hui !

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Haitza 2007 : nez sur la prunelle, le cassis et les épices. Bouche ample, généreuse, avec une matière mûre et dense, et des tannins parfaitement fondus. Un vin équilibré, gourmand, avec un cépage (Tannat) pourtant pas facile...

Haitza 2006 : nez plus rond, plus riche, dominé par le cassis. La matière est plus pulpeuse, plus dense, plus gourmande. Plus de mâche aussi en finale, avec un gros retour sur le cassis. Heureux les possesseurs de cette bouteille (il n'y en a plus en vente depuis longtemps) !

Haitza 2004 : nez plus frais, plus vif, avec toujours du cassis (dans un style un peu plus végétal - version positive). Bouche plus longue que large, avec un côté plus "glissant", avec des tannins bien policés. J'aime aussi beaucoup ce vin !

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Les fromages sont aussi au niveau, que ce soit le vache ou le brebis, affinés à la perfection (et ne ressemblant pas du tout à ceux que l'on peut trouver habituellement en magasin).

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Et bien sûr... le gâteau basque, fabriqué dans une ferme voisine. L'astuce de Thérèse, c'est de le congeler puis de le mettre au four : son extérieur devient plus croustillante, et il devient beaucoup plus goûtu (les arômes du beurre, entre autres). 

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J'étais venu voir des producteurs de vins, et j'ai découvert un nouveau monde qui m'était totalement inconnu : la culture basque, avec une façon de penser et de se comporter totalement différentes des nôtres. Comme je le disais à Thérèse qui est alsacienne d'origine, le Pays Basque est une autre "France de l'extérieur". Ce qui m'a peut-être le plus marqué, c'est le fair play lors des matches de pelote basque, où les bons points sont salués par l'ensemble du public. Il est malvenu de ne soutenir que sa seule équipe et de huer "l'adversaire". Autant dire que les problème de violence dans les stades n'existeraient pas si nous nous comportions en "bons basques" ;o)

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Si Michel avait délaissé son travail de professeur, c'est parce qu'il n'était plus en accord avec lui-même : il enseignait des techniques qui allait à l'inverse de la logique paysanne traditionnelle. Aujourd'hui, il peut être content de ce qu'il a entrepris avec son épouse : leur démarche est juste, avec un respect de l'environnement et des valeurs humaines. Avec quelques autres producteurs (comme Brana), ils ont réussi à montrer qu'il était possible de faire des exploitations viticoles viables, employant de la main d'oeuvre locale et produisant des vins de grande qualité, et vraiment typique de leur terre basque.

Les cinq heures passées en leur compagnie me marqueront longtemps, car il y a vraiment quelque chose de fort et de bouleversant dans leur démarche, avec quelque chose de lumineux, d'évident... Les mots me semblent presque vains pour décrire l'atmosphère qui règne à Arretxea. Je ne peux donc que vous y inciter à les rencontrer : vous comprendrez.

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Merci à Thérèse et à Michel pour leur accueil !

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