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Feu-de-bois

Par Lebibliomane
Feu-de-bois"Des Hommes" Laurent Mauvignier. Roman. Les Editions de Minuit, 2009.






Un samedi après-midi du mois de décembre. 
C'est aujourd'hui l'anniversaire de Solange qui, pour l'occasion, a loué la salle des fêtes afin de partager ce moment avec sa famille et ses amis. C'est l'heure de l'apéritif et tout le monde est réuni devant le buffet. On ouvre les bouteilles de mousseux, on présente les cadeaux destinés à Solange. On rit. Cette petite fête s'annonce déjà comme une réussite.Mais voici qu'arrive Bernard, le frère de Solange, que l'on surnomme Feu-de-bois à cause de l'odeur qui l'enveloppe perpétuellement. Bernard. Le frère indigne. Marginal et alcoolique. Le frère dont on a honte, celui qui boit plus que de raison et qui peut en un instant faire chavirer par ses excès un paisible repas de famille.C'est en effet ce qui arrive ce jour-là. Bernard, ulcéré par l'accueil méfiant qui lui est fait, va déraper et s'en prendre à Chefraoui, un ami et ancien collègue de Solange. Parce qu'il est arabe, Chefraoui va se faire copieusement insulter par Bernard qui va cristalliser sur lui tous les affronts, toutes les moqueries, toutes les critiques qu'il endure depuis tant d'années.Expulsé de la fête, Bernard n'a pas dit son dernier mot et, enfourchant sa vieille mobylette,va commettre un acte irréparable.Entre ce début d'après-midi et le lendemain matin, le lecteur va ainsi découvrir, narré par Rabut, le cousin de Bernard, le passé de celui que tout le monde surnomme Feu-de-bois, sa lente descente aux Enfers suite à ses vingt-huis mois de service militaire lors de la guerre d'Algérie.C'est en effet de cette sale guerre – que l'on a pudiquement et honteusement, pendant des années, qualifiée d' « évènements d'Algérie » – dont il va être question au cours de cette longue nuit qui suivra la découverte de l'acte insensé commis par Feu-de-bois.Cette guerre, comme celle de 14-18 ou celle du Vietnam, a laissé derrière elle de nombreux traumatismes chez ces jeunes hommes que l'on a envoyé au front pour devenir les acteurs d'un conflit qui le plus souvent les dépassait : « On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce que la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout... »Nous suivrons ainsi le parcours de Bernard, de son cousin Rabut, de Février, de Châtel et de bien d'autres, envoyés dans un pays qu'ils ne connaissent pas et qui, comme ceux qu'ils auront à combattre, ne seront ni des héros ni des salauds, mais seulement des hommes capables, lorsque la peur les étreint, de devenir des bourreaux et de commettre les pires exactions. Il n'y a en effet pas de héros dans le roman de Mauvignier, seulement de jeunes hommes morts de trouille qui deviendront tour à tour témoins et acteurs d'actes barbares qui s'imprimeront à jamais dans leurs mémoires et reviendront les hanter tout le restant de leur vie.De ce conflit qui, malgré le couvercle de honte et de silence dont on l'a recouvert pendant de longues années, appartient désormais à l'Histoire du peuple français, Laurent Mauvignier fait ressortir toute l'universalité du traumatisme ressenti par les combattants pendant, et surtout, après l'arrêt des hostilités. Combien d'entre eux ont été, sont, et seront en proie à ces images cauchemardesques et rémanentes surgies d'un passé plus ou moins lointain ? Combien d'entre eux, après Verdun, Dien-Bien-Phu, le Kosovo, le Rwanda, la Tchétchénie, ont vu et verront leur vie hantée par ces souvenirs insoutenables qui les réveilleront nuit après nuit ? Combien d'entre-eux, tel Feu-de-bois, verront leur vie anéantie en retournant dans la vie civile, accrochés à l'alcool ou aux drogues pour tenter d'oublier, ne serait-ce qu'un bref instant, les horreurs du passé ?C'est de cela dont il est question dans ce magnifique roman de Laurent Mauvignier, un récit au souffle puissant scandé par une prose proche de l'oralité qui immerge le lecteur dans un quotidien où la banalité touche à l'universel, où la tragédie naît de l'insignifiant et de l'ordinaire.

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