Magazine Beaux Arts

Réfléchir sans rien voir

Publié le 03 octobre 2010 par Marc Lenot

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Au sous-sol du Jeu de Paume, il y a (jusqu’au 6 février) un cube blanc; rien n’est exposé aux murs et le titre est Untitled (2010) de Tomo Savić-Gecan. Qu’est-ce à dire ? En fait, le mur du fond de la pièce est mobile, mu par un mécanisme caché; il se déplace parfois imperceptiblement, de manière apparemment aléatoire. Pour ‘comprendre’, il faudrait sortir du Jeu de Paume, aller à Roissy, prendre le vol DY 1479, puis demander à un taxi de vous emmener en ce lieu, où vous seriez devant le même cube blanc, le même titre, le même mur mobile. Tout cela pour comprendre ? Oui, car comme l’écrit fort bien la commissaire Elena Filipovic dans le petit catalogue accompagnant cette exposition, “ce sont le temps et l’espace qui constituent littéralement le médium de Savić-Gecan”. L’exposition est “le terme indiquant un espace et un temps où un public se rassemble pour permettre que se crée, à la fois individuellement et collectivement, une expérience esthétique.”

Oui, mais encore ? Chaque visiteur qui entre dans la pièce au Bergen Kunsthall fait bouger le mur au Jeu de Paume d’un centimètre (avec un délai de quelques secondes), chaque visiteur qui entre dans la pièce au Jeu de Paume fait bouger le mur au Bergen Kunsthall d’un centimètre (avec un délai de quelques secondes) : Norvégiens et Parisiens ont le même poids, pas de message socio-politico-culturel derrière cette installation, seulement une réflexion sur l’écart entre agir et voir, entre expérimenter et percevoir, entre la chose et l’idée. Le travail de l’artiste ne se révèle que via un autre lieu en un autre temps (nul ne sera à la fois à Paris et à Bergen); nul ne peut être à la fois acteur et spectateur, nul ne peut avoir une vision complète, globale de l’oeuvre. Le cube blanc explose. Aucune image, sinon, à chaque endroit, l’image de l’autre endroit.

Ce n’est d’ailleurs pas la première création de ce type de Tomo Savić-Gecan: des visiteurs du centre d’art Begane Grond (’rez-de-chaussée’) à Utrecht mettaient en marche un escalator apparemment en panne dans le centre commercial Kaptol de Zagreb (Untitled 2001). Les visiteurs du centre d’art W139 à Amsterdam modifiaient imperceptiblement la température de la piscine Reval-Sport de Tallinn, mais nul ne le savait, excepté les visiteurs de la Biennale de Venise 2005 (Untitled 2005), seuls ’spectateurs’ de l’oeuvre, réduite là à une phrase d’explication dans le pavillon croate de la Biennale.

Bon, cela ne vous fera peut-être pas vous précipiter toutes affaires cessantes (encore que…) au Jeu de Paume (mais il y a aussi Kertesz et tout un programme de vidéos de jeunes artistes), mais cela vous fera sans doute réfléchir (ou hurler…). 

Photo du Jeu de Paume par Arno Gisinger


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