Magazine Culture

Bon chic bon genre

Par Richard Le Menn

bcbgmantoux300 Photographie 1 : J'ai choisi de vous présenter la page de couverture de l'édition revue et corrigée de 1986 (France loisirs) du livre de Thierry Mantoux B.C.B.G. : Le guide du bon chic bon genre, plutôt que celle de la première édition de 1985, car je la trouve plus amusante.
J'ai insisté dans plusieurs articles sur l'importance du 'bon ton' et du 'bon genre' (voir notamment celui intitulé Le bon ton et le bon genre) dans la mode française, puis du « chic ». C'est à partir du XIXe siècle que la notion de chic apparaît. Le mot viendrait de l'argot des peintres. Il désigne, dans le vocabulaire courant, une élégance particulièrement saillante et de bon ton. Je l'ai trouvé dans un texte de 1811 dans cette acceptation. Mais il semble qu'il n'existe pas au XVIIIe siècle et avant dans le lexique de l'élégance ; bien qu'il soit alors beaucoup question de galanterie, de bon ton et de mode.
Dans la seconde moitié du XXe siècle émerge la notion de 'b. c. b. g.', abréviation de ‘bon chic bon genre’. C’est véritablement un phénomène français qui puise ses racines dans les idées de 'bon ton' et même d'aristocratie. On trouve dans cette expression les termes de 'chic’ cher au XIXe, et de ‘bon genre’ qui l'est bien avant ce siècle. Il s’agit d’un(e) jeune bourgeois(e) des années quatre-vingt, voire d'une personne de descendance noble, avec un style bien particulier : foulard ou noeud dans les cheveux, tailleur ou simple jupe droite (parfois un pantalon) lesgenschicsgyp300 pour les femmes, et pour les deux : foulard autour du cou, polo et pull-over Lacoste, chaussures Weston ou d’une autre marque chic. Le b. c. b. g. vit dans les quartiers huppés (XVIe arrondissement, XVe, 8e à Paris, Neuilly, Versailles …), utilise un langage choisi exprimé en formant avec la bouche ce qu'on appelle un 'cul de poule'. On en trouve en province, comme à Bordeaux où cette tendance perdure toujours un peu. Il est d’une bonne famille catholique, lui-même pratiquant. Il ne se mélange pas aux autres classes. Les b. c. b. g. font la fête, sortent et se marient entre eux. Ils font de grandes écoles comme l’ENA ou Sciences-Po. Certains peuvent exprimer une certaine folie festive adolescente, mais sans jamais s’écarter du cercle qui les protège : généralement leurs parents très aisés. Une fois marié, le bcbg perd son côté 'étudiant'. Les notions de carrière et de vie familiale sont très importantes pour lui (ou elle toujours). Le bcbg  pratique le 'sport' dans les lieux et clubs fashionables comme les sportsmen, sportswomen et gentlemen du sport du XIXe siècle. Il est 'propre' selon la définition ancienne, c'est à dire qu'il prend soin non seulement de son corps, mais aussi de ses habits et tournures, et même de ses moeurs (il va à l'église, a souvent été scout ...). Il vote à droite. Tous les bcbg font ressentir qu'ils appartiennent au 'monde', voire parfois à une certaine noblesse, qui rappelle (ce n'est plus alors qu'un lointain écho) la vieille courtoisie qui cependant rechignerait particulièrement à contempler leurs moeurs bourgeoises. Mais cette appartenance ne les empêche pas d'être aussi très sociables ; la sociabilité étant une chose très importante en France ; mais qui reste naturelle. lesgenschicsGypfemmeabicyclette300 Le bcbg s'écarte peu des conventions. Il balance, comme son nom l'indique, entre le chic et le bon genre. Le mot 'chic' seul porte une idée d'originalité ou de 'm'as-tu vu', éloignée du bcbg. On ne peut donc le comparer directement au copurchic dont il est question dans l'article du même nom : Copurchic, qui lui est 'ultra-chic'. Le bcbg ne pratique pas le 'suprême chic', le 'grand chic' ou de le 'dernier chic', pas plus que le 'faux chic'. Il reste de 'bon genre' quoique autrefois cette notion n'est pas non plus dépossédée de fantaisie.
Le bcbg se rapproche plus des personnages décrits par Gyp (nom littéraire de Sibylle Aimée Marie Antoinette Gabrielle Riquetti de Mirabeau, par son mariage comtesse de Martel) dans nombre de ses livres, comme dans celui ayant pour titre : Les Gens chics (1895). lesgenschicsgypshommeabicyclette300a Cet ouvrage commence par un chapitre intitulé : 'Un Beau mariage'. C'est un élément important aussi chez le bcbg comme l'exposent les auteurs de  B.C.B.G. : Le guide du bon chic bon genre et de Les Mouvements de mode expliqués aux parents (1983). L'ouvrage de Gyp se prolonge dans des lieux comme le bois de Boulogne, les Champs-Elysées, les courses à Longchamp, dans une soirée de château ... Dans Trop de chic (1900), Gyp décrit des lieux, situations et personnages chics notamment avec toujours le bois de Boulogne, mais aussi le shoping rue de la Paix (près de l’Opéra et des boulevards), les bains de mer, les voyages en wagon, à Luchon, Trouville, Vichy, en Suisse, à Houlgade, Plombières, Arcachon, Saint-Germain, à la campagne, les sociétés de charité, les bals etc.
Photographies 2, 3 et 4 : Page de couverture et illustrations de  Les Gens chics, avec 'images en couleurs par Bob ' (Paris, G. Charpentier et E. Fasquelle, 1895) de Gyp (1849-1932).
Dans son Dictionnaire de la langue verte (1867), Alfred Delvau définit le 'chic' comme exprimant spécialement le goût, la « façon pittoresque de s’habiller ou d’arranger les choses » dans le vocabulaire des petites dames et des gandins, c'est à dire des petits maîtres du XIXe siècle. En 1874, dans La Comédie de notre temps, Bertall propose tout un chapitre sur le ‘chic’ intitulé : 'Qu’est-ce que le chic' : « Le chic est le nescio quid des Latins, le je ne sais quoi du dernier siècle. Le chic est une allure, une désinvolture, un aspect, une élégance impromptue, dont la possession classe momentanément ou d’une manière durable l’être ou la chose qui en sont revêtus. chichommeclair300a Le chic est une sorte de prétention réussie. Le mot chic, mot bizarre, dérive directement des ateliers, où il était en usage bien avant d’avoir acquis ses lettres de grande naturalisation. En terme d’atelier, un croquis fait avec chic, une peinture faite avec chic, sont des oeuvres brillantes enlevées vivement et d’aplomb, d’une façon audacieuse, élégante et non compassée. On peut être un grand peintre et n’avoir aucun chic. Prud’hon, Géricault, H. Vernet, Raffet, Delacroix, avaient du chic. Ingres, David, et Gérard n’en avaient pas […] Malgré ses détracteurs, le mot chic a prévalu dans les ateliers pour désigner quelque oeuvre tout à fait supérieure ; et l’on dit très-bien : J’ai vu un Meissonier excessivement chic ! Généralement, donc, le mot chic s’emploie en bonne part. Dans les ateliers, lorsqu’on veut employer une expression d’un genre analogue, mais qui, au lieu d’un degré d’admiration, désigne un degré de moquerie, on se sert du mot touche. Voyez-moi cette touche ! A-t-il une touche ? dit-on d’un personnage dont l’accoutrement ou les allures sont grotesques ou fâcheux. Les deux mots ont émigré et sont passés dans l’usage général en français. Le mot chic, nous assure-t-on, vient du mot allemand schik, chicfemme300 qui veut dire aptitude, tournure, habileté, et que les ateliers allemands, qui généralement n’en ont guère, employaient avec une admiration de bon aloi en voyant les oeuvres françaises dans les ateliers de Paris. Si ce mot est d’origine allemande, il est devenu néanmoins éminemment français, et même, qui plus est, éminemment parisien. Le mot chic, passé dans l’usage, désigne donc généralement ce qui est brillant, élégant, doué d’allure et genreux, suivant une expression nouvellement introduite dans le langage jeune homme. On dit un homme chic. Une femme chic. Un salon chic. Un cocher anglais est chic. Une nourrice russe est excessivement chic. Le quartier Saint-Germain est chic, ainsi que le quartier Saint-Honoré. Le quartier des Batignolles ou des Jeûneurs n’est pas chic. Il y a des théâtres chics, comme l’Opéra, les Italiens, les Bouffes, les Variétés. Les autres ne sont chics que les jours de première représentation. Parmi les clubs où se réunissent les jeunes gens qui n’ont pas assez d’intérieur, les hommes mûrs qui en ont trop, et les vieux qui n’en ont plus, sans compter tous les gens mariés qui en ont besoin, pour excuser leurs fugues, comme celles de l’affaire Chaumontel (lisez Balzac !), il y a des clubs chics et des clubs qui ne le sont pas. Le seul qui ait un grand chic est le Jockey-Club.  […] Souper à la Maison d’Or, au Café Anglais ou chez Brébant, est chic … »
Photographie 5 : « UN HOMME CHIC » Bertall, La Comédie de notre temps, 1874.
Photographie 6 :  « UNE FEMME CHIC. Est-ce une grande dame ? Est-ce une petite-dame ? Peu importe ! Mais, comme dirait le gommeux d’en face, elle a du chic. » Bertall, La Comédie de notre temps, 1874.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Richard Le Menn 304 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines