LE CHAT
Je n’avais aucune envie de travailler et peu à peu je devenais comme mon beau chat tigré Burichio. Les hommes et les autres animaux ne sont incités au travail que lorsqu’ils ne sont pas heureux, comme un expédient pour oublier, mais ils soupirent tous après cette béatitude totale que seul le chat a su atteindre.
Le chat a abandonné la vie sauvage, fuyant ses difficultés, ses pénuries et ses dangereuses rencontres, et il s’est associé à l’homme pour exploiter son travail sans rien lui donner en échange, si ce n’est le plaisir d’admirer son élégance physique et son caractère altier. Afin d’éviter tout risque, il a inculqué à l’homme la conviction que sa chair est médiocre et sa fourrure méprisable. Mais comme le seul fait de passer pour un resquilleur le désole, il a conservé un vague souvenir de ses habitudes primitives de chasseur et, de temps à autre ,il feint de s’occuper des souris, veillant bien à ce que ces distractions sportives soient suffisamment rares pour être chaque fois louées, sans lui valoir de tomber dans la mesquine régularité de l’emploi.
En accord avec sa conscience, il jugerait déshonorant de se donner sérieusement du mal, et il instructif d’observer comment cet animal habile s’est ménagé auprès de l’homme, la place que l’homme, depuis quelques millénaires, voudrait occuper auprès du destin.
(G.A. Borgese- « la ville inconnue » )