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Le procés de la Honte"«Ce n'est pas une raclée, mais une leçon pour la justice»

Publié le 22 septembre 2010 par Medzaher
Le procès de Hocine Hocini et Salem Fellak, poursuivis pour offense à l'Islam pour avoir «mangé » durant le mois sacré du ramadhan s'est tenu mardi 21 septembre au tribunal de Ain El Hammam. A l'issue d'une audience marquée par une grande intensité, le juge a mis en délibèré le verdict pour le 5 octobre prochain. Le procureur a requis 3 ans de prison, les avocats ont plaidé la relaxe et les prévenus, de confession chrétienne, ont réitéré leur droit à la liberté de culte et de conscience.
Il est huit heures en cette première matinée d’automne et la ville de Ain El hammam (150 kms à l'est d'Alger) grouille d’une foule pressée et stressée. La circulation automobile est dense, comme à son habitude dans cette petite ville étroite. Des policiers, en assez grand nombre, déployés aux alentours du tribunal, règlent la circulation et tentent de contenir les dizaines de citoyens présents pour exprimer leur soutien à Hocine Hocini et Salem Fellak dont le procès se tient au tribunal de cette grande bourgade de Kabylie. Arrêtés le 12 août dernier par deux policiers alors qu'ils déjeunaient dans l'enceinte d'un chantier privé, ces deux travailleurs saisonniers, de confession chrétienne, sont poursuivis pour «offense et atteinte à l'Islam».
«Ce procès c’est celui de toute la république qui se retrouve ainsi menacée dans ses fondement...»
Alors que la foule s'amasse devant l’édifice du tribunal, Hocine et Salem arrivent accompagnés de leurs amis et de leurs proches. La présence des amis, des soutiens qui affluent de partout leur fait chaud au cœur. «Ce procès c’est celui de toute la république qui se retrouve ainsi menacée dans ses fondement. Nous sommes victimes de l’excès de zèle de certaines personnes qui interprètent la loi de manière très personnelle. Quant au fait d’être chrétiens, il faut rappeler que la constitution algérienne garantit la liberté de culte», dit Hocine, 44 ans, technicien en informatique, marié et père d'une fillette née le 24 août dernier, converti lui aussi au christianisme depuis 2002. De petite taille, le bouc soigneusement taillé, vêtu d'un survêtement bleu, Salem, 34 ans, opine du chef. Ces deux hommes qui doivent comparaitre devant un juge et risquent trois années de prison affichent pourtant confiance et sérénité.
La salle d’audience est pleine comme un œuf.
Peu avant dix heures, les portes du tribunal s'ouvrent. Des policiers en civil filtrent les entrées. Seuls les personnes munies d’une convocation ou d’une carte de presse ont le droit d’accès. La salle d’audience est pleine comme un œuf. Tous les espaces sont occupés. Dehors, des centaines de personnes prennent place sur le trottoir en face du tribunal. Rarement dans l'histoire de cette grande ville de Kabylie, anciennement baptisée Michelet à l'époque ou l'Algérie était une colonie française, réputée pour son marché hebdomadaire qui draine des centaines de commerçants et de clients qui viennent des quatre coins des montagnes du Djurdjura, on a vu une telle affluence.
«Pouvoir Assassin!Pouvoir assassin!»
Au bout de dix minutes d’attente, l'assistance se lève au grelottement d’une petite sirène qui annonce l’entrée de la cour. Le juge fait signe à l’assistance de s’asseoir. L’audience peut enfin commencer. Le juge, un jeune quadragénaire, appelle Fellak Salem à plusieurs reprises. Les deux prévenus sont encore dans la salle des pas perdus. Happés par la foule, ils n'ont pas pu se frayer un chemin pour faire leur entrée dans la salle d'audience. Hors de lui, un des avocats de la défense, s'en va chercher lui-même ses deux clients qui se présentent enfin devant leur juge.
A la barre, ils sont une bonne douzaine d’avocats dont Mokrane Aït Larbi, célèbre avocat et militant des droits de l'homme, les avocats du parti RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie)ainsi que ceux de la ligue algérienne des droits de l’homme. Une belle brochette de magistrats venus plaider la cause de Hocine et Salem. Le juge vérifie l’identité des prévenus. De la rue montent des slogans rageurs: «Pouvoir Assassin!Pouvoir assassin!» Les cris des manifestants sont tellement assourdissants qu'il devient presque impossible d’entendre le juge et le procureur d’autant plus que la salle n’est pas équipée de micros.
«Pour que la procédure soit légale, il aurait fallu que la police judiciaire fasse valoir un mandat de perquisition»
Le réquisitoire du procureur est bref. Le représentant de la chancellerie rappelle l’essentiel des accusations portées contre les deux prévenus puis ce fameux article 144 bis 2 du code pénal pour lequel Hocine et Salem se sont retrouvés devant le juge. La défense passe enfin à l’offensive. Le premier avocat axe sa stratégie sur un vice de procédure : les policiers qui ont procédés à l'interpellation des deux prévenus n'étaient pas en possession d'un mandat de perquisition le jour où ils s'étaient présentés dans le chantier dans lequel travaillaient les deux prévenus. Appartenant à un privé, clôturé, le lieu de l'interpellation ne pouvait être assimilé à une place publique. «Pour que la procédure soit légale, il aurait fallu que la police judiciaire fasse valoir un mandat de perquisition», assène l’avocat. Il demande donc l’annulation pure et simple des poursuites judicaires. Le procureur prend la parole, mais s’exprime d’une voix si faible que nous n’arrivons pas à saisir le moindre mot. Le juge interroge Salem sur les circonstances de l’arrestation. Celui-ci expédie ces circonstances en quelques mots avant de charger le procureur : «Quand j’ai dit que j’étais de confession chrétienne, le procureur m’a demandé d’aller vivre en Europe!», s’offusque-t-il. Jeudi 12 aout, lorsque celui a été présenté en compagnie de Hocine devant la procureur-adjointe, celle-ci avait rétorqué : « Ici, nous sommes dans un pays musulman, si vous êtes chrétiens, vous devez changer de pays!»
«Tu sais qu’il est interdit de «manger le ramadhan»?»
C’est au tour de Hocine d’être interrogé. Calmement, posément, il rétorque qu’en Algérie il n’y a aucune loi qui interdit de ne pas manger durant le mois de ramadhan ou d’être chrétien. «Il est impossible qu’on nous ait vu de l’extérieur, plaide-t-il. Nous étions dans le chantier et derrière un mur de briques. Même à partir d’un avion, ils ne nous auraient pas repérés». La salle éclate de rire. Le juge interpelle Hocine : «Tu sais qu’il est interdit de «manger le ramadhan»?» Hocine, sans se démonter, répond du tac au tac. «Oui, dans les lieux publics». A l'extérieur de la salle d'audience, une personne improvise un discours à la foule qui applaudit à tout rompre.
Le procureur annonce que 20 personnes ont porté plainte contre les deux prévenus
Le procureur revient à la charge. Doctement, il annonce que 20 personnes s’étaient présentées devant les services de sécurité pour demander qu’on l'on arrête ces deux mécréants qui déjeunaient au mépris de l’un des préceptes sacrés de l’islam. Il termine son intervention en rappelant que si la constitution algérienne garantit la liberté de culte, cette liberté a ses limites. L’un des avocats bondit pour saisir au vol cette accusation. Il répond : «Je ne dis pas que le procureur ment, mais dans le dossier de l’accusation il n’y a aucun élément qui prouve que des gens, au nombre de 20, se sont présentés devant les services de sécurité pour se plaindre. Où sont donc les procès verbaux?» Silence dans la salle. A ce niveau, le procès devient carrément burlesque. Le pays est ensanglanté par le terrorisme, miné par l’affairisme, ravagé par la violence sociale, gangrené par la corruption, et voila que la justice algérienne, sous les traits d’un jeune juge, instruit le procès de deux modestes ouvriers de chantier coupables d’avoir pris leur déjeuner durant le mois de ramadhan. Burlesque!
«Seul Dieu a le droit de punir le non jeûneur!»
D’autres avocats montent au créneau. Ils s’emploient chacun à démontrer le vice de procédure. S'il y avait une effraction, il faudrait la chercher du côté de la police qui a violé l'intimité et la propriété d'un domicile privé, explique l'un d'eux. Un vieux ténor du barreau soutient lui qu'il n'existe aucun verset dans la Coran, aucun témoignage dans la vie du prophète Mohamed, absolument rien, qui prévoient une punition, un châtiment, à l'encontre des gens qui n’observent pas le jeûne. «Seul Dieu a le droit de punir le non jeûneur!», tonne-t-il. Visiblement, les avocats jouent sur du velours. Un quatrième avocat s’interroge: «Réfléchissez bien messieurs. Si deux chrétiens sont condamnés aujourd’hui en Algérie, combien de musulmans seront condamnés demain en occident?» La foule applaudit.
Un sandwich et une bouteille de limonade comme pièces à conviction
C’est au tour de Mokrane Aït Larbi de passer à l’offensive. Il passe en dernier. Redoutable tribun, rompu aux arcanes de la justice algérienne, aussi à l'aise en arabe qu'en français ou en kabyle, il porte l’estocade. Me Aït Larbi choisit le registre de la dérision. Il souligne d’emblée que dans de nombreuses affaires jugées par la justice algérienne, les pièces à conviction font défaut. Dans le cas de Hocine et Salem, ces pièces là sont dûment consignées dans un procès verbal présenté devant la justice algérienne. De quelles pièces s'agit-il ? Des restes d’un sandwich et d’une bouteille de limonade!
«Nous demandons seulement nos droits.»
Aït Larbi poursuit. Que dire de ceux qui déjeunent dans les hôtels huppés d'Alger, le Sheraton, le Hilton ou le Saint George (El Djazaïr) pour 5000 dinars le repas? Eux ne courent aucun risque de se retrouver un jour devant un juge. Ce n'est pas le cas de Hocine et de Salem..L'avocat prévient contre une talibanisation du pays et termine sa plaidoirie en soulignant qu’à cette allure, on aura bientôt une police islamique traquant dans la rue les gens qui ne font pas la prière. Comme en Afghanistan. Mokrane Aït Larbi rappelle également que la police est restée passive devant les dépassements subis par les chrétiens en Algérie comme dans le cas de cette église qui a été brûlée à Tizi Ouzou en janvier 2009. Il conclut: «Le chrétien, certes, doit respecter le musulman, mais il faut que cela soit réciproque». Le juge demande un dernier mot à Salem Fellak. Celui-ci s’exécute : «Nous demandons seulement nos droits.» Nous n’entendrons pas la réponse de Hocine. Le juge annonce que le verdict est mis en délibéré jusqu’au 5 octobre prochain. La séance est levée.
«Il ne s’agit pas d’une raclée, mais d’une leçon»
Dans le couloir côté cour, les avocats de la défense échangent des mots avec le juge. Tout le monde a le sourire et s’accorde à dire que la séance n’a pas été excessivement longue. Des banalités qui permettent d’évacuer la tension dans la forme plutôt que dans le fond. Selon les avocats, l’on s’achemine vers un non lieu. «Il y a une réelle volonté d’apaisement. Ils tentent de rattraper les excès de zèle qui nous ont mené jusque là», dit l’un des avocats du collectif de Mokrane Aït Larbi.
A l'extérieur du tribunal, Hocine et Salem sont happés par la foule qui leur exprime un soutien indéfectible. Ils sont félicités et congratulés de toutes parts. Salem dit que la justice vient de prendre une raclée. Hocine le corrige. «Il ne s’agit pas d’une raclée, mais d’une leçon». Il est vrai que les avocats ont été brillants. Et les prévenus dignes.
REPORTAGE : DNA

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