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François Vallejo, Les soeurs Brelan, Viviane Hamy

Publié le 24 septembre 2010 par Irigoyen
François Vallejo, Les soeurs Brelan, Viviane Hamy

 François Vallejo, Les soeurs Brelan, Viviane Hamy

Allez savoir pourquoi, je suis souvent attiré par les histoires qui se déroulent dans la France des années 50 ou 60 – d'où mon admiration pour Patrick Modiano -. Sans doute en ai-je une vision fantasmée. J'imagine une vie intellectuelle et politique foisonnante, bouillonnante. Je regarde cette période comme la promesse de tous les possibles.

Pour Sabine, Marthe et Judith Brelan, personnages principaux du dernier roman de François Vallejo – qui fut, entre autre, lauréat du Prix Inter il y a trois ans – cette période de l'après-guerre est plutôt celle d'une urgence : continuer à vivre ensemble après la mort des parents.

L'action commence chez le juge. Ce dernier décide de ne pas confier les trois sœurs, pourtant mineures, à leur tante Rosie Ledru. La justice permet au trio de s'administrer lui-même. Le tout sous le regard de grand-mère Madeleine qui, sans avoir l'air de rien, veille sur ses petites-filles .

Je me suis véritablement laissé embarquer dans cette histoire de trois femmes qui font un lent apprentissage à la vie. Lent oui car la société d'alors considère plutôt que le sexe dit faible doit rester aux fourneaux et de prodiguer au « maître de maison » tout ce qu'il serait en droit de réclamer.

Il y a aussi l'urgence de trouver un travail pour l'aînée. Grand-mère Madeleine se porte volontaire pour l'aider. Elle se rend au cabinet d'architecte où travaillait Louis, le père des jeunes filles. Depuis sa mort, c'est Cicéro qui a repris l'affaire. Ce dernier accepte d'employer Marthe. Il lui promet même de l'avancement si elle vend ses parts de la société.

Cet apprentissage professionnel se double d'un apprentissage à la vie amoureuse. Atteinte de tuberculose, Marthe est obligée de laisser ses deux sœurs se débrouiller seules à la maison. Elle est alors placée dans un sanatorium, lieu de l'émancipation sexuelle avec Charles Coutelle, un autre patient.

Je suis trop maigre ? Je t'effraie ? Mais notre corps ne compte pas. Je ne demande même pas à t'embrasser. Ne prenons pas le risque de mélanger nos bacilles. Nous devrons nous toucher sans nous toucher. Tu comprends ? Pressé, pressé. Marthe voulait prendre le temps de comprendre. Revoyons-nous demain.

A première vue, l'action du roman progresse à la vitesse d'une Renault Monasix de Luxe de 1930 – vous comprendrez en lisant le livre -. Pourtant, l'écriture de François Vallejo donne une constante sensation de rapidité.

Je pense que cela est dû à la « gloutonnerie » de l'auteur. Celui-ci investit totalement ses personnages. Comme s'il entrait à chaque fois au plus profond d'eux jusqu'à « usurper » leur identité et nous faire voir le monde extérieur avec leurs yeux. On est donc, je trouve, dans un balancement permanent entre le narrateur qui conserve une distance et l'accaparement d'un « je », presque sans transition.

Après Marthe, c'est Sabine qui est l'objet de toutes les attentions de l'auteur. Celle-ci remplace sa sœur chez Cicéro. Lors d'un voyage à Berlin, elle va faire la connaissance de Markus Schlegel qui dirige un bureau d'études techniques. L'Allemand est alors attiré par cette Française qui finira par se marier avec lui. Le mariage va accélérer l'éclatement de cette entité familiale constituée par les trois sœurs Brelan.

Sabine leur a adressé une longue lettre pour leur annoncer que son mariage avait eu lieu, sans famille, de part et d'autre, l'union pure de deux personnes. Vous ne me croirez pas, mais c'est comme ça. Le plus important était qu'elle ne les oublierait pas. Elles pouvaient compter sur son aide, comme toujours. Elle n'osait pas le dire trop clairement, pour ne pas blesser Judith, mais, si Marthe était gênée, un jour, pour remplacer la Monasix Luxe, par exemple, ou dès maintenant, elle lui enverrait des mandats à volonté. Markus lui-même l'avait proposé. Judith en a pleuré? La contamination de l'argent était plus rapide que tout : sa propre sœur en perdait toute délicatesse ; peut-être pas enlevée, mais achetée par un riche ; exhibant dès sa première lettre ses moyens nouveaux ; disposée à acheter à son tour ses propres sœurs. La conclusion, proclamant qu'elles restaient les sœurs Brelan avant tout, ne sauvait rien, aux yeux de Judith : une formalité épistolaire. Marthe voulait croire à la sincérité de Sabine, malgré tout.

Tu ne vaux pas mieux qu'elle. La sincérité, pour toi, c'est un mandat.

Marthe ne savait plus quoi faire pour empêcher la désintégration du noyau Brelan.

S'ensuit tout de même un séjour de la famille dans Berlin divisé. Cela marque la dislocation temporaire de ce noyau. Les trois sœurs se retrouvent un peu au moment du décès de leur grand-mère. L'événement provoque la fureur de la tante Rosie qui accuse alors les trois filles d'avoir tué Madeleine.

Naturellement, nous l'avons tuée. Et pourquoi ? Tout simplement parce que Grand-mère Madeleine préférait mourir avec nous que vivre avec toi.

C'est l'histoire de Judith qui clôt ce roman. La benjamine du groupe devient visiteuse de prison, en particulier à Fleury-Mérogis où elle tombe amoureuse d'un homme accusé de viol et de meurtre, Martin Baléares, qui a écopé d'une peine de prison.

Cet homme sera, sans le vouloir, à l'origine des retrouvailles entre sœurs. Je n'en dirai pas davantage, histoire de vous laisser la surprise.

être heureuses toutes les trois, ce n'était pas être heureuses à tout prix, c'était être heureuses d'être toutes les trois, même si elles devaient être malheureuses chacune de leur côté.

On peut sans doute lire ce roman de François Vallejo comme un hommage au combat féministe contre une société patriarcale. Mais il me semble que l'auteur pose, plus généralement, la question du rôle de l'individu, sa marge de manœuvre dans un société fermée – symbolisée ici par la prison, le sanatorium, l'entreprise, Berlin divisé -.

D'après ce que j'en connais c'est plutôt l'apprentissage de l'émancipation dont nous parle ici l'auteur dans cette France qui change après la guerre. Je trouve qu'il y a un message profond si l'on part du principe que la crise financière que nous vivons aujourd'hui est elle aussi un conflit à grande échelle.

Et qu'il convient donc à chacun de réaffirmer son propre rôle.


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