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Philippe Forest, Le siècle des nuages, Gallimard

Publié le 06 septembre 2010 par Irigoyen
Philippe Forest, Le siècle des nuages, Gallimard

Après ce long intermède estival durant lequel vous aurez pu apprécier, je l'espère, les rencontres avec Nancy Huston et Olivier Rolin, voici revenu le temps des marronniers. Un marronnier, si on l'envisage sous l'angle journalistique, c'est un sujet qui revient toujours à la même période. Il en va ainsi du défilé du 14 juillet, du chassé-croisé entre juillettistes et aoûtiens, ou encore de la rentrée. Rentrée scolaire bien sûr mais aussi rentrée littéraire. Vous l'avez lu, relu, 701 livres ambitionnent cette année de décrocher un ou plusieurs prix. 701 livres – merci pour la précision – c'est un record. Mais plutôt que de vous parler inflation je préfère vous dire mon sentiment quant aux romans emportés le mois dernier dans mes valises.

Philippe Forest, Le siècle des nuages, Gallimard

C'est sans conteste le livre qui m'a le plus touché. Pas parce qu'il serait mieux écrit – il faudrait pour cela qu'il existe une norme -. Philippe Forest, dont j'avais beaucoup aimé les précédents romans en particulier Sarinagara, rend ici hommage à un père dont l'histoire personnelle ressemble étrangement à celle du mien, tant les deux histoires sont liées à la grande épopée de l'aviation.

Le livre commence par le crash d'un hydravion de la compagnie Impérial Airways, en 1937, à Ouroux, près de Mâcon. Événement auquel assiste Jean Forest, père du narrateur. Lequel établit d'emblée un parallèle entre cet accident et le naufrage progressif de son géniteur :

Lui d'ailleurs, il n'en parlait presque pas. Il lâchait prise simplement. Tout ce à quoi avait tenu sa vie, il le regardait s'en aller autour de lui. Dire qu'il descendait ne suffirait pas. Il dégringolait plutôt d'un à-pic invisible. Il n'avait plus l'énergie qu'il lui aurait fallu pour rester debout et résister à la grande gravité qui l'aspirait vers le dessous des choses. Une sorte de torpeur s'était saisie de son corps et l'avait rendu incroyablement lourd et lent. Rien ne pouvait plus le distraire vraiment d'une mélancolie inavouée et profonde. Un brouillard opaque était tombé depuis longtemps sur le monde. Et s'il descendait ainsi, peut-être était-ce aussi dans l'espoir de trouver plus bas, sous les nuages, l'abri d'une vallée dégagée ou bien parce que, sans vouloir se le dire, il visait au fond l'obstacle sur lequel s'écraser et qui le délivrerait de la fastidieuse besogne de vivre plus longtemps.

La lecture des premières pages m'a d'abord fait penser au film de Philippe Kaufman, « L'étoffe des héros ». Mais ce sentiment n'a pas duré. Très vite en effet, Philippe Forest revient au thème qu'il développait dans ses précédents opus : les relations parents/enfants. Ici, on n'est plus dans la rupture liée à la disparition soudaine d'une fille – c'est malheureusement le cas de l'auteur -. Non, le narrateur fait corps avec son père pour faciliter la transmission, socle indispensable de la quête de soi.

C'est pourquoi celui qui se souvient, qui se souvient de soi, en est réduit à reconstituer un roman, son propre roman, à partir de débris dépareillés du passé, acceptant l'invérifiable hypothèse qu'une intrigue doit pourtant exister qui unit tous ces moments et les intègre à la cohérence d'un récit à peu près suivi et sensé, prêtant sa psychologie présente, pour autant qu'il est capable d'en savoir quoi que ce soit, au personnage qu'il a été autrefois et dont il ne connaît plus rien. Et dès lors, le roman se lit fatalement à l'envers puisque ce sont les dernières pages à l'aide desquelles on invente les premières, donnant un tour mélancolique à l'histoire car, ainsi qu'on s'en avise alors, c'est toujours par la fin qu'elle commence.

Plus loin :

Et, rassemblant ces morceaux douteux de mémoire, celui qui raconterait n'aurait pas d'autre choix que d'en faire à son tour la matière d'un roman dont il saurait bien qu'il est aussi le sien.

L'histoire paternelle commence donc dans le Mâconnais. On suit l'itinéraire du jeune Jean Forest qui, très tôt, rêve d'être aviateur, avant-garde d'une « humanité pacifique et prospère ». Cette conception est aux antipodes de celle du fascisme naissant qui veut exalter « dans l'aviateur la figure de l'homme d'exception, incarnant seul le génie souverain de sa race. »

Jean est admissible au concours de l'Ecole de l'air mais bute sur les épreuves d'oral après avoir réussi celles de l'écrit. De toute façon, c'est la guerre, l'exode – c'est à ce moment-là qu'il fait la connaissance de celle qui va devenir sa femme -.

Plus tard, pour des raisons que je vous laisse découvrir par vous-même, Jean Forest traverse la Méditerranée pour apprendre l'agronomie à Alger. C'est à ce moment précis que le livre a alors pris pour moi une importance très particulière. Le père du narrateur a fait partie de ces quelques Français – comme le mien qui vivait alors en Afrique du Nord lui aussi - ayant eu la chance d'apprendre le pilotage et ses métiers annexes aux Etats-Unis.

L'histoire de cet apprentissage dans le cadre du CFPNA - le Centre de Formation du Personnel Navigant – est assez mal connue. L'idée qui gouvernait les organisateurs était bien sûr de former des aviateurs capables de lutter contre l'Allemagne et ses alliés.

Jean Forest est affecté près de Selma, en Alabama. Il découvre alors, comme ce fut le cas de mon propre père, la ségrégation. L'auteur raconte comment Jean, voulant laisser sa place à une femme noire dans le bus, a pu mesurer combien sa démarche avait été « malheureuse » -. Selma dont, autre anecdote, Philippe Forest nous rappelle qu'elle a vu naître un lieutenant confédéré, Nathan Bedford que le Ku Klux Klan considéra comme son premier Grand Wizard.

Grâce à Philippe Forest, j'ai pu partir à la (re)découverte de l'album de photo de cette époque de mon propre père et apprendre que le CFPNA vit aussi passer des hommes comme Jean-Jacques Servan-Schreiber ou encore Antoine de Saint-Exupéry.

Outre Selma il y aura entre autre Selfridge Field dans l'Illinois. Les bases changent, le temps passe. En Europe la guerre est bientôt finie mais les Français du CFPNA sont gardés car le conflit se poursuit dans le Pacifique. A tout moment, ils peuvent être une force supplétive à l'oncle Sam.

Cette expérience de militaire français fut à l'origine comme pour mon père d'une intégration dans l'aviation civile. Ce fut TWA, la compagnie de Howard Hugues pour mon géniteur qui lui ne fut pas pilote mais personnel au sol. Ce fut Air France pour Jean Forest qui passa donc une grande partie de sa vie derrière un gouvernail.

Eux les pilotes, convoyant moins de passagers et des marchandises qu'ils ne garantissaient ce mouvement perpétuel par lequel la terre se vérifiait elle-même en faisant communiquer les uns avec les autres tous les points dispersés à sa surface.

Quand on a eu la chance d'avoir un papa dans l'aviation, on voyage beaucoup. Ce qui fut le cas aussi de Philippe Forest malgré tout :

Le plus étonnant étant que notre mère qui était du genre à nous guetter du balcon de l'appartement pour surveiller que nous traversions sain et sauf la rue Huysmans, la seule à séparer l'école de la maison, ne s'opposait pas à ce que nous accomplissions une telle équipée, plutôt imprudente.

Plus loin :

Avec cette certitude étrange et parfois un peu amère de pouvoir être partout et de ne se trouver nulle part. Semblable soi-même à une sorte de nuage soufflé par le vent. Pas grand-chose. À peine quelqu'un. Un touriste en somme. Étant entendu que le tourisme est l'art de jouir du monde en passant. Comme la vie.

Vous l'aurez compris. Ce roman est pour moi bien plus qu'une pépite. D'abord parce que Philippe Forest me donne l'impression de donner une trajectoire nouvelle à son œuvre. Ensuite parce qu'il y a ici un hommage à une époque qui avait un autre rapport au mouvement. C'est un peu l'âge d'or du transport aérien qui nous est restitué, en toile de fond. Celui d' « avant la crise, la dérèglementation, les faillites, les plans de redressement ». Période dont je me souviens vivement, moi qui avais la chance de partir avec mes parents, à la découverte du monde.

Un temps où l'on pouvait être inquiet mais où l'inquiétude semblait nourrir l'espoir.

L'inquiétude l'avait accompagné toute son existence, mais pas le doute. 


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