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L’Ecole Givaudan : une exception française

Par Olivier Et Nathalie


L’Ecole Givaudan : une exception française

L'Ecole Givaudan à Argenteuil.


Un tiers des flacons de parfums sortant dans le monde porte l'empreinte de ses anciens élèves. Parmi eux, Jacques Polge, Jean-Claude Ellena, Thierry Wasser, ou encore Michel Almairac, pour ne citer qu’eux. Aux commandes de cette école mythique, Jean Guichard, créateur entre autres succès de L’Interdit de Givenchy et de Loulou puis Eden de Cacharel, veille avec un soin jaloux et bienveillant sur les trois ou quatre nouveaux étudiants issus de sa sélection annuelle.
Créée en 1946 par Jean Carles (créateur de Miss Dior en 1947 et mentor de Jacques Polge), l’école, qui se trouvait à l’origine à Grasse, a été transférée à Argenteuil en banlieue parisienne en 1995. Sa méthode, qui dénombre une base de 1300 matières premières, réparties en «  familles olfactives », est considérée comme la référence de l’apprentissage du métier de parfumeur. Près de cinquante ans après la disparition de Jean Carles, c’est sa technique qui est enseignée à l’Ecole Givaudan. Trois années de formation sont nécessaires aux élèves pour acquérir et maîtriser leurs gammes olfactives. Une formation qui épouse aussi parfaitement les besoins de l’entreprise : un poste spécifique chez Givaudan est ainsi garanti pour chaque étudiant recruté dans le monde entier. Les demandes des bureaux de création de la société visent aussi bien New York, Sao Paulo, Shangaï que Singapour, Dubaï ou… Argenteuil !
Dès lors, rien d’étonnant à ce que l’on croise ce jour-là cinq jeunes de nationalités différentes, américaine, brésilienne, indienne et française (voir photo ci-dessous – il manque l’étudiant d’origine indienne, exceptionnellement absent !). Ce nombre si confidentiel de nouveaux élèves permet à Givaudan de jouer les mécènes sans courir de risque puisqu’à son arrivée, chaque nouveau-venu signe un contrat d'exclusivité de cinq ans, valable dès l’issue de sa formation. En contrepartie, la formation est non seulement gratuite mais aussi rémunérée, avec suffisamment de largesse pour épargner aux étudiants le stress et la pénibilité des petits boulots.

L’Ecole Givaudan : une exception française

Parmi les élèves de 2e année à l'Ecole Givaudan (de gauche à droite) : Quentin (un littéraire diplômé des arts du spectacle à Strasbourg), Linda l'Américaine, Sandra la Brésilienne et Karine (diplômée en chimie de l'université de Montpellier).

  Janus parfumeur : artiste ou chimiste ?« Un parfumeur doit être autant un artiste qu'un scientifique » affirme Jean Guichard. Suivant la catégorie recherchée, l'une ou l'autre des facettes d'un candidat est mise en avant. Les chimistes sont pressentis pour une parfumerie axée sur les savons ou les détergents, tandis que le secteur des fine flagrances recrutera plutôt des « artistes ». « La personnalité des candidats, leur parcours, leur talent et surtout la faculté à comprendre leur époque sont parmi mes priorités. Je reçois 200 dossiers et j'essaye d'auditionner un à deux candidats par semaine tout au long de l’année », poursuit le directeur. Pas de limite d’âge officielle, ni de diplômes requis, même si la plupart des recrues sont le plus souvent âgés de 25 à 30 ans, et titulaires d’un bac + 4 ou + 5.

« Un métier difficile, où l’apprentissage est long et semé d’embûches », selon les mots de Jean Guichard, qui fait l’éloge de la persévérance, clé du métier selon lui. Les capacités d'écoute et de communication sont aussi valorisées : un parfumeur devra au cours de sa carrière savoir expliquer son travail pour ensuite le vendre. Autre pépinière de jeunes talents, bien que moins axée sur l’international, l'Isipca. Différence notable, cette école située à Versailles sélectionne des candidats titulaires d’un diplôme de chimie. Une barrière infranchissable pour certains postulants, au profil plus « artiste » ? Chez Givaudan, à l’inverse, la créativité est fortement appréciée. « Les candidats sont souvent surpris qu'on ne leur fasse pas passer au préalable une épreuve de sélection sur leurs capacités olfactives. À l'école, ils vont désapprendre ce qu'ils savent et nous, de notre côté, on va leur apprendre à " lire " et à " écrire "... », sourit Jean Guichard.

L’Ecole Givaudan : une exception française

Jean Guichard, directeur de l'Ecole

« Apprendre à être parfumeur, c'est un peu comme un musicien qui inlassablement doit d'abord travailler ses gammes et ses arpèges avant de commencer à interpréter une pièce. »


Un académisme rigoureux et patientLes 6 premiers mois sont rudes : pas moins de 500 matières premières à retenir - 150 matières premières naturelles et 350 matières premières synthétiques, regroupées en 5 grandes familles. Au bout de 6 mois, les étudiants sont amenés à reconnaître 20 matières, les décrire et, pour les matières naturelles, à donner leurs constituants chimiques. Même si l'enseignement est très progressif, il faut sans cesse assimiler de nouvelles odeurs, de nouvelles molécules. Après l'apprentissage des lettres, les mots... le travail sur les accords, floraux ou fruités, débute. D’abord un accord de deux matières, puis de trois et ensuite de quatre... Une dizaine d’accords, composés selon les goûts propres des élèves, sont demandés. L’étape suivante est la classification des parfums finis en fonction de 6 familles olfactives : trois familles qu'on appelle « réalistes » (les citrus, floraux et boisés), et trois familles « abstraites » (car elles ont été inventées par les parfumeurs) : les chyprés, les fougères et les orientaux. « Leur mission est de créer un accord harmonieux avec 6 matières de sorte qu'aucune des matières premières ne doit ressortir, puis on en ajoute une autre afin de compliquer le jeu... Ils doivent vérifier ensuite la conformité de leur composition suivant les directives de l'Ifra (N.D.A. : l'International Fragrance Association détermine la liste officielle des matières premières pouvant légalement être utilisées en parfumerie en évitant tout produit allergène). Si l'un des composants comporte une matière prohibée, l'étudiant devra revoir sa copie. Au bout de la première année, on considère qu'ils savent lire et écrire... », explique Jean Guichard. En deuxième année, c’est sur la base de parfums leaders du marché que les élèves devront plancher. Sans l’aide de la chromatographie, ils doivent reconnaître au nez constituants et proportions d'un parfum célèbre recomposé d’après (seulement !) 15 matières premières. Fine fragrances ou consumer products, c'est-à-dire produits cosmétiques et dérivés, sont les domaines où les élèves devront apprendre indifféremment à s’exercer. La troisième année sera, elle, consacrée aux stages en Suisse, à la maison-mère et auprès de chimistes ou encore en qualité-contrôle. Ce n'est qu'à ce moment qu’ils abordent la magie complexe de la chromatographie. Créativité et ouverture au monde sont constamment encouragées dans cette école unique, qui demande beaucoup de travail personnel à ses élèves. « Impossible selon moi d’enseigner la créativité, mais à l’inverse, il est aisé de la tuer, en étant trop dirigiste ou trop restrictif », souligne Jean Guichard. Car les tendances en parfumerie sont les mêmes que celles de la mode, du cinéma, du monde de la peinture ou de la musique. Traduire en odeurs les idées de leur époque, après avoir observé les œuvres des autres artistes est, sans doute, une des clés des parfumeurs, capables de capter et de retranscrire avec finesse et émotion les enjeux du monde contemporain. Et c’est précisément ce à quoi tend le cursus de l’école Givaudan, entre enseignement rigoureux et curiosité salutaire.  Nathalie Helal et Olivier Brandily



Ecole Givaudan
55, Voie des Bans, B. P. 98
95102 Argenteuil
Tél : (33) 1.39.98.15.17www.givaudan.com

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