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« La réforme des retraites n’est pas terminée »

Publié le 08 octobre 2010 par Delits

Projet de loi de finances 2011, réforme des retraites , projections de croissance : les thématiques économiques et sociales ne manquent pas en cette rentrée. Délits d’Opinion a rencontré Eric Heyer, Professeur à la SKEMA Business School et Directeur adjoint au Département Analyse et Prévision de l’OFCE.

Délits d’Opinion : Le PLF était présenté cette semaine en Conseil des Ministres avec comme objectif principal de diminuer les déficits publics. Une des options choisies consiste à « raboter » les niches fiscales.Cette mesure ne devrait pas poser trop de difficultés dans la mesure où plus d’un Français sur deux estiment que les niches fiscales sont « une mauvaise chose » pour l’économie française.

Estimez-vous que le début de leur suppression constitue une étape essentielle dans la réduction des déficits et qu’elles ne porteront pas atteinte à la lente croissance en reprise ?

Eric Heyer : Concernant votre première question, je pense effectivement que la suppression progressive des niches constitue une bonne façon de s’attaquer au déficit public. Il peut permettre un retour à l’équilibre budgétaire. Il y avait une façon très intelligente d’agir, qui consistait à lister l’ensemble des niches fiscales, 475 au total, pour un montant global de 75 milliards d’euros et de les traiter les unes après les autres. Les niches les moins efficaces, les moins productives et les plus injustes auraient alors pu être largement supprimées sans que cela ait un effet important sur la croissance. Il faut se rappeler que certaines, à l’époque de leur création, pouvaient avoir un sens et constituaient une incitation importante, ce qui n’est plus forcément le cas aujourd’hui.

Je ne suis cependant pas convaincu que la suppression des niches soit bien perçue par tous : dans chaque niche il y a un chien qui aboie. Certains lobbies peuvent faire capoter la démarche. Pour cette raison, on assiste plutôt à un coup de rabot général plutôt qu’à une suppression pure et simple ciblée sur les moins pertinentes.

Si on avait retiré 10 milliards de niches improductives, il n’y aurait pas eu de souci pour la croissance. Or là, on constate que certaines mesures vont impacter la croissance française puisqu’elles vont représenter de nouvelles taxes. Je pense notamment à l’augmentation de la TVA sur l’offre triple-play. Les FAI concernés vont répercuter cette hausse sur leurs prix : en bout de chaîne, c’est le consommateur final qui paye, ce qui entraînera nécessairement des conséquences sur l’économie.

Je ne dis pas qu’il ne fallait pas le faire mais l’incidence sur la croissance ne sera pas neutre.

Délits d’Opinion : Dans une récente interview de Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances, celui-estimait que l’existence de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune polluait le débat sur la fiscalité en rendant notamment difficile une analyse lucide sur le système de fiscalité français, en particulier sur la possibilité de créer une nouvelle tranche fiscale sur les plus hauts revenus. Partagez-vous ce point de vue ?

Eric Heyer : Oui effectivement, avec l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) on est plus dans le symbole que dans l’efficacité.

On sait que cet impôt a un rendement faible et est un peu contre-productif. Du coup, on ne le supprime pas directement, on le contourne.

Il faudrait pourtant le supprimer dans sa globalité, retirer le bouclier fiscal et créer une nouvelle tranche fiscale sur les plus hauts revenus.

Délits d’Opinion : La réforme des retraites a été votée à l’Assemblée Nationale, c’est désormais au Sénat de se pencher sur la question. Le texte et ses principales propositions vous paraissent-elles à la hauteur de l’enjeu ou selon vous une nouvelle réforme sera rapidement nécessaire ? (on parle notamment de 2018 avec un nouveau recul de l’âge de le retraite)

Eric Heyer : On voit bien que toutes les réformes modifiant légèrement le système de retraite, en particulier celle de 2003, indiquaient des rendez-vous dans les années à venir. Il s’agit d’une réforme à moyen-long terme qui repose sur des projections d’ici 2020-2030. Ces projections peuvent être faillibles : elles dépendent de variables telles que le taux d’emploi ou la productivité sur lesquelles des marges d’erreur sensibles peuvent exister.

Face à cette incertitude des projections, il est essentiel de se fixer des rendez-vous pour savoir où on en est et vérifier que ces anticipations sont conformes à la réalité.

En ce sens, la réforme n’est pas terminée, il sera effectivement nécessaire de voir dans les années à venir où l’on en est en.

Délits d’Opinion : Vous sortez L’économie Française 2011 aux Éditions de la Découverte. Le moral des Français s’améliore lentement et ceux-ci se montrent moins pessimistes pour l’avenir économique. Que peut-on attendre de l’année 2011 ?

Eric Heyer : La confiance des entreprises a augmenté beaucoup plus rapidement que celle des ménages. Cette dernière reste encore très dégradée quand celle des entreprises est revenue à sa moyenne de longue période. Cette morosité parmi les ménages s’explique notamment par un chômage élevé, on est revenu à des niveaux atteints il y a 10 ans, ce qui constitue un grand bond en arrière. On va traîner ces niveaux élevés encore en 2011.

Par ailleurs, les chômeurs vont vieillir au chômage, ce qui va entraîner une perte de compétences et une perte financière. Pour 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise, on aura 45 pauvres supplémentaires en 2011. Les ménages commencent à en prendre conscience, ce qui explique les niveaux très dégradés de confiance.

Concernant les prévisions de croissance pour l’année 2011, il n’y aura pas de récession même si les niveaux de croissance s’annoncent faibles. Nous avons connu une fin d’année 2008 et un début 2009 très mauvais puis la croissance est repartie grâce aux politiques de relances. En 2010, le plan de relance fut moins important mais nous avons profité d’une reprise par les stocks, que les entreprises ont reconstitués mais une reprise finalement plutôt technique.

Malheureusement, l’année 2011 ne profite pas de ces deux éléments : elle marque l’arrêt du plan de relance, en termes de politiques économiques on est passé du « go » au « stop » avec une politique de rigueur. Ensuite, la reprise technique va s’arrêter. Ces deux moteurs vont s’arrêter sans relance de la croissance ou reprise de l’investissement. On devrait au final obtenir un niveau de 0.2/0.3 pt de croissance par trimestre, ce qui est trop faible pour créer des emplois.

Propos recueillis par Olivier.


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