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Anthologie permanente : Fiona Sze-Lorrain

Par Florence Trocmé

Poezibao, à l’instigation d’Auxeméry, propose ici un ensemble de trois poèmes de Fiona Sze-Lorrain, dans des traductions encore inédites.
 
 
 
Œil Invisible 
 
Brouillard qui 
des maisons fait des 
squelettes de craie. J’ouvre 
de force des 
portes de pénombre. 
Les arbres un à un me 
mettent sur le chemin de 
chez moi. J’essaye 
de les compter 
pas à pas, 
mais au moment où je pose 
le pied sur les racines, 
ils font des entrelacs ballants 
de têtes en cheveux. 
La rue est un doigt 
pointé 
sur la lune, jeune fille et 
lièvre conjoint. Pour finir, 
cette fable vire au réel. 
Quelqu’un 
m’observe. Une clé 
lui tombe 
de la main. 
Entre nous, la distance 
c’est une bouche. 
Je n’ose pas revenir sur 
mes pas, je reste là 
sans bouger 
et j’attends – son ombre 
se cache dans une grotte. 
(Traduction inédite d’Auxeméry) 
 
Invisible Eye 
 
Fog  
chalks the skeletons 
of houses. I pry  
open 
doors of dusk. 
Every tree helps me  
pick my way  
home. I try 
counting them  
with my footsteps,  
but the moment I ride  
over their roots,  
they twine into dangling  
heads of hair.  
The street is a finger  
pointed  
to the maiden in the moon 
and her hare. Finally,  
a fable turns real.  
Someone  
watches me. A key  
falls  
from his hand.  
Distance between us  
is a mouth.  
I dare not turn  
back, but stand  
still  
and wait — his shadow 
is hiding in a cave. 
 
 
 
Boîte à chaussures pleine de boutons Mao 
 
Bouts de soleil, parures safran fatiguées, en ramasser une poignée – 
   ça tinte et ça cliquète, et carillon des mégaphones : L’Orient est Rouge.  
 
Cadeaux de fiançailles à la mode, les filles vierges des usines se donnaient 
   aux camarades, et épinglaient leur âme au Timonier. 
 
Les étudiants les troquaient contre des brioches de porc vapeur,  
   un professeur en avala deux pour arriver à se suicider. 
 
Tournesols de plexiglas, yeux grêlés de noir à présent. 
   Souvenirs en italiques dans une boîte de Pandore, 
 
Au-dessous du flambeau c’est Mao qui rapporte, son grain 
   de beauté fait art, esthétique post-moderne, rouille égale mensonge. 
 
Dénoncer tout ça ? Tourner la page, sauter par-dessus les piquants, 
   le croc mord encore, oui, il y a du sang qui perle sur ton pouce. 
(traduction inédite d’Auxeméry) 

 
Shoebox Filled with Mao Buttons 
 
Stubs of sun, deflated saffron orns, scoop up a fistful —  
they chink and clank, megaphones chime The East is Red. 
 
Betrothal gifts à la mode, virgin factory girls gave sex 
to comrades, and pinned their souls to Chairman.  
 
Students bartered them for steamy pork buns,  
a professor swallowed two to commit suicide.  
 
Plexi-glass sunflowers, now dark-pitted eyes.  
Italicized mementos in a Pandora’s box, 
 
Mao becomes money under a torchlight, 
his mole is art, postmodern aesthetics, the rust is a lie.  
 
Denounce it? Flip one over, needle enjambed,   
hook still kniving, yes, there is blood tinning on your thumb. 
 
 
 
Larmes 
 
photo de Man Ray, 1930 
 
La tristesse, y penser à deux fois. 
Ses yeux racontent une histoire 
différente de leurs yeux – 
perles de cristal ancrées 
en coordonnées cartésiennes. 
 
Chaque larme contient un lac. 
Lac de platine. Montagnes déplaçant 
le bord d’un ciel circulaire. 
Elle tombe et brise la distance 
qui les maintient à l’écart. 
 
Chaque larme désire être singulière. 
La précieuse solitude. 
Et son drame. Éloignée, 
séparée de ses yeux 
qui penchent vers le ciel. 
 
Il existe une nuit noire en chaque larme. 
Réticules distillent nébuleuses. 
Obturateurs s’ouvrent. Ils renversent 
ainsi que le souvenir remonte le temps. 
 
La tristesse, y penser encore. 
Est-ce là maintenant un ciel minimal ? 
Chaque larme fait le saut à partir du bord 
dès l’instant où le bord s’approche. 
 
Pluie de septembre trempe 
dans son silence, cueillant dans les yeux 
qui désavouent les larmes, inventant 
des façons neuves de répondre aux chagrins. 
 
Car la tristesse a des ailes – 
la larme, pas de mains. 
 
 
Larmes 
a photo by Man Ray, 1930 
 
Think twice about sadness.  
Her eyes tell a story 
different from their tears — 
crystal pearls anchored 
like Cartesian coordinates. 
 
Each tear contains a lake.  
A platinum lake. Mountains shift  
the brink of a circular sky.  
It falls and breaks the distance 
that keeps them apart. 
 
Each tear yearns to be singular.  
The prized solitude.  
And its drama. Divided 
away from her eyes  
that tilt skywards. 
 
There is a white night in every tear.  
Crosshairs distill nebulae. 
Shutters open. They spill  
the way memory tells.  
 
Think again about sadness. 
Has it become a minimalist sky?  
Each leaps off the edge  
once she nears its edge.  
 
Like September rain soaked  
in her silence, gathering in eyes  
that disown tears, inventing  
new ways to answer sorrows.  
 
For sadness has wings —  
the tear no hands. 
 
 
par Auxeméry 
 
bio-bibliographie de Fiona Sze-Lorrain 
 
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