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White Material, de Claire Denis

Par Timotheegerardin
White Material, de Claire Denis

Une chronique écrite pour KINOK


La comparaison est saugrenue, mais White Material a quelque chose d'un Out of Africa inversé. L'intrigue sentimentale laisse place à la déroute familiale, le volontarisme à la tragédie, l'Afrique de rêve à l'Afrique de cauchemar. Cela tient aussi probablement à l'histoire. Dans un pays africain mystérieux, Maria (Isabelle Huppert) décide envers et contre tous de continuer à gérer sa plantation de café, malgré la guerre civile qui fait rage.

Cauchemar, le récit de White material a quelque chose de décousu, comme pour signifier l'état de décomposition d'un continent africain où la violence règne, et où les guerres se succèdent sans sans aucune cohérence. Les personnages ont des gestes tantôt absurde, tantôt mystérieux. Le fil narratif commence in-situ, semble s'arrêter, puis repart, sans prévenir. Aucune indication de lieu, un vague contexte politique (le gouvernement en place contre des rebelles dirigés par « Le Boxeur »), un vague contexte familial aussi: Maria Vial, gérante de la plantation de Café Vial, et son fils Emmanuel joué par Duvauchel.

Cette absence de sens nous laisse à un univers monstrueux. Les personnages y sont soit trop transparents – la cupidité, la volonté de puissance s'étalent sur des visages exalté – soit franchement opaques – la persévérance inexpliquée de Maria, l'escapade nihiliste d'Emmanuel. Ce qui reste, ce sont des gens qui combattent, ou gagnent de l'argent comme ils peuvent.

Une réalité absurde, assez crue, qui laisse pourtant place à l'onirisme. Peut-être est-ce là le grand point fort du film: la capacité à faire de cette déroute générale un univers fantastique. La chronologie des événements n'est pas claire, la narration est frappée de narcolepsie: des séquences apparemment rêvées s'insèrent tout naturellement dans la débâcle. La tonalité lancinante de la musique des (?) n'est pas pour rien dans l'installation de cette atmosphère hallucinatoire. La guerre fait rage en silence, les corps sont engourdis par la douleur. Si la violence est feutrée, c'est qu'elle est une drogue douce, qui nous emmène tranquillement dans un état second. Même le rythme de reggae, que l'on entend parfois, a l'allure claudiquante et nostalgique d'une marche tranquille vers la mort.

Dans ce tableau macabre, la silhouette squelettique et échevelée d'Isabelle Huppert convient très bien. Il y a cette froideur, cette fondamentale absence de générosité dans le jeu de l'actrice française, (que l'on ne peut pas s'empêcher d'imaginer intellectualisant son rôle, théorisant son personnage). Cela tombe bien en un sens, car c'est comme ça que Maria se fond le mieux dans ce monde glaçant, jusque dans le feu et dans le sang. Mais quand même, on est d'autant moins sensible à la violence, à la déroute, à la guerre, que ce personnage garde et cache derrière ce visage trop blond, trop nordique (le « matière blanche en question »?) tout sentiment et toute sensation – y compris quand elle crie ou quand elle pleure.

Ne parlons même pas de Nicolas Duvauchel et de son personnage d'adolescent trentenaire. Dès le départ, on ne sait pas vraiment si c'est uniquement la crédibilité de l'acteur qui manque, ou si le personnage est trop fou pour être vraisemblant. Il est « comme un chien », dit quelqu'un. Et c'est bien vrai qu'il cabotine, fait son mini seigneur de guerre, puis termine dans une orgie de médicaments avec ses amis enfants-soldats. Soit.

En somme on arrive à un film déroutant, à un univers effrayant de violence fluide et sereine. Mais Claire Denis parvient à installer cet univers au prix des personnages, au prix de l'intrigue, au prix de la profondeur de champ – au prix de toute prise, de toute attache pour le spectateur.


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