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Des éclairs

Par Memoiredeurope @echternach

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Je ne saurais faire mieux que de reprendre le titre du dernier roman de Jean Echenoz (Des Eclairs. Les Editions de Minuit, 2010). Troisième d’une série de « biographies sans scrupules » serrées autour de personnages insolites, dont je n’avais lu que le premier, l’étonnant Ravel, il cache en le dissimulant à peine, sous le nom de Gregor, l’un des savants qui semble avoir attiré à lui tous les fantasmes des auteurs de science fiction et des auteurs de jeux fantastiques.

C’est en 2006, si j’en crois les mails que j’ai pris soin de rechercher, qu’est venue vers nous, depuis la Serbie, l’idée d’un itinéraire culturel autour de la personnalité de Nikola Tesla, l’année étant celle du 150e anniversaire de sa naissance.

Une structure culturelledu nom de kulttura, responsable des journées européenne du patrimoine dans son pays et correspondante de l’itinéraire Transromanica, nous a d’abord écrit, puis a délégué son directeur Jovo Andjic à Luxembourg. Nous avons depuis dans notre bibliothèque, plusieurs brochures et un DVD sur le savant en question.

J’avais été frappé à l’époque, mais sans entrer dans les détails, du fait que ce Yougoslave que semblaient revendiquer les Serbes et les Croates, avait connu une destinée curieuse, ou qu’en tout cas, il avait côtoyé les plus grands savants de son époque liés à l’énergie et à l’électricité.

Il faut toujours regarder comment pourrait se valoriser un itinéraire européen, surtout s’il choisit de mettre en valeur, parmi des milliers de cas possibles, un personnage, et dans le cas présent un homme de la modernité.

Mais le projet n’ayant pas dépassé l’intention et un échange pour le moins épistolaire entre deux pays à peine réconciliés, je n’ai plus entendu parler de Tesla avant de me rendre début juillet 2008 à Zagreb et de passer devant la maison sur laquelle une plaque de marque et un portrait de bronze, citent le nom du savant.

L’homme du courant alternatif, de la bobine, des lampes à haute fréquence, voire des radars et de la télécommande, et pourquoi pas de la radiophonie et du rayon de la mort, ouvre un siècle où l’énergie va devenir l’arme la plus terrible, l’auxiliaire de la modernité le plus sûr, et tout à la fois le champ de bataille de tous les inventeurs qui visent l’universel. 

Le fait qu’il ait pensé que l’on pourrait disposer un jour d’une énergie libre et illimitée, ouverte au bien être de tous, le rend bien entendu éminemment sympathique. 

Que dire du livre ? Il y a certes de la virtuosité. J’avais pour Ravel, comparé Echenoz à un psychopompe. Un témoin des morts, un familier des disparus, vivant dans leur antichambre, fouillant dans les armoires, faisant les poches des costumes pour y trouver un mot oublié qui lui permettra de faire reluire une phrase comme une chaussure bien cirée.

Il en est de même avec ce Gregor et sa peur des microbes. Comme Ravel, qui vivait dans la hantise de ne pas disposer d’assez de cravates et emplissait donc ses valises transatlantiques d’objets indispensables, uniquement à ses propres yeux, Gregor doit disposer en permanence de gants immaculés, de serviettes de table propres par dizaines et de costumes du meilleur tailleur.

Ses portraits en jeune homme lui donnent de fait une séduction de grand style. Ses portraits en vieillard, le laissent par contre sur le pas de la porte, comme un exilé qui a tout donné de lui même. Ce qu’il a fait, c’est certain.

Un homme vidé de toute substance.

En fait il faut se demander si Echenoz n’est pas tout simplement attiré, fasciné par ce que contient une cervelle folle. Un cerveau plein d’éclairs qui transmettent à la partition le sentiment d’une catastrophe planétaire et enrobent les peurs d’un siècle sous une “Valse” d’une méchanceté absolue. Ou bien par de vrais éclairs physiques, échevelés, qui sortent comme par miracle de tours magiques, de boules métalliques et qui semblent générer de l’absolu.

Trouvera-t-il pour d’autres ouvrages, d’autres cerveaux nés d’une difformité, d’un manque ou d’un hasard. Surpuissants et seuls conscients des réalités d’un ailleurs ?

Je n’avais pas noté que le personnage de Tesla, devenu littéraire par ce qui lui est prêté de manies fascinantes, d’amours manquées et d’attirance pour les pigeons, avait déjà fait converger sur lui toutes les figures de Mandrakes de la bande dessinée américaine, avait contesté tous les supermanset menacé, sous différents avatars, la planète de destruction.

Apparition diabolique en effet : « Devant une salle d’abordplongée dans une obscurité totale quoique striée çà et là de luisances furtives, il apparaît d’abord d’un coup, dans un rond de lumière blanche et comme surgi de rien dans sa redingote noire cintrée, long visage blême et haute silhouette encore grandie par un haut-de-forme, environné sur sa tribune d’objets extravagants, d’appareils jamais vus – bobines solénoïdales, lampes à incandescence, spirales diverses et surtout nombreux tubes en verre de toutes formes, emplies de gaz à basse pression. »

Une vie à la recherche de l’histoire, de l’éternité. Une vie placée sous les projecteurs, comme celle d’un magicien. Mais une vie vaincue par le pouvoir d’Edison et de Marconi, entre autres, et de tous ceux qui sauront dénicher les perles dans les coquilles qu’il laissera, éparpillées autour de lui. 

Nikola Tesla, pour l’éternité encerclé de lumières d’orages.

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