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ECO-TERRORISME, non paru, été 2007

Publié le 03 janvier 2008 par Caroline Rochet


Faut-il avoir peur
des éco-terroristes ?


Enquête sur les extrémismes écolos

Eté 2007
(non paru)

Prêts à tout pour défendre bêtes et planète, les extrémistes écolos sont aujourd’hui pris très au sérieux par les organisations anti-terroristes. Véritable info ou énorme intox ? Le point sur un sujet encore plus chaud que le climat.
Courriers piégés, sabotages, agressions, incendies : la violence écologiste, qui affole tant les pays anglo-saxons, paraît hallucinante dans nos paisibles contrées. Chez nous, l'environnement comme les animaux se défendent avec une bonne vieille pancarte plutôt qu'avec une bombe, et notre José Bové national arrachant des OGM apparaît comme le comble de l'anarchie verte. Pourtant, ce qu’on appelle "écoterrorisme", traitant aussi bien des farouches défenseurs des animaux que des protecteurs de la nature les plus acharnés, semble être un mot à la mode. La section anti-terroriste du FBI, très attentive au phénomène, le définit comme "l'usage ou la menace d'utiliser la violence de manière criminelle, contre des victimes innocentes ou des biens, par un groupe d'orientation écologique, pour des raisons politiques liés à l'environnement". Soit : « Touche pas à ma planète ou je te pète la gueule ». Mais comment en est-on arrivés là ?
DES ASSOCIATIONS MUSCLÉES
Les mouvements écologistes, tout comme ceux militant pour le bien-être animal, se sont structurés au début des années 70. Et à côté d'associations purement pacifistes comme Greenpeace ou les Amis de la Terre, sont apparues des entités plus radicales. Lassées du manque de résultat et des compromis, elles considèrent que s'énerver un peu est le seul moyen de se faire entendre, et que la fin justifie les moyens. Un exemple célèbre ? L'ALF (Animal Liberation Front), qui combat la maltraitance et l'exploitation des bêtes. Officiellement non-violente, l'organisation compte pourtant à son actif un palmarès impressionnant. Selon le FBI, elle et son équivalent environnemental, l'ELF (Earth Liberation Front), auraient déjà commis plus de 1100 actes criminels rien qu'aux Etats-Unis, le montant des dommages s'élevant à environ 110 millions de dollars. Au programme,  vandalisme envers des boucheries, des fourreurs, des élevages, des fast-foods (des graffitis aux destructions), et harcèlement des responsables jusqu'à leur domicile. Mais l'organisation recenserait aussi des épisodes plus sinistres, frôlant le scénario de thriller. Comme en témoigne le journaliste de Channel 4, Graham Hall, qui déclare avoir été séquestré puis tatoué au fer rouge du sigle de l'ALF en 1999 ; cet épisode n’a cependant pas été officiellement revendiqué par l’organisation (voir encadré), et les spécialistes du sujet en Angleterre n'ont aucune certitude quant aux auteurs des faits. Autre exemple border-line, il y a trois ans, les menaces à l'encontre d'un éleveur de cobayes de Newchurch, suivies de la profanation de la tombe d'un membre de sa famille, là encore de certitude assez floue. L'organisation aurait revendiqué des actions dans plus de 20 pays, principalement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Israël, en Nouvelle-Zélande ou en Argentine. Pour plus d'efficacité, elle a opté pour un fonctionnement sans leader, et il suffirait d’agir pour faire partie du mouvement : leur site explique que "N'importe quel végétarien effectuant des actions selon des directives d'ALF a le droit de se considérer en tant qu'élément de l'ALF." Même système à l'ELF. Pas de chef, pas de tête : un système qui floute les repères.
Dans un registre plus purement écolo, il y a le cas Paul Watson. Cet activiste canadien, qui dans sa jeunesse pistait les trappeurs pour détruire leurs pièges, est un des cofondateurs de Greenpeace. Quelques années après avoir quitté l'association, qu'il trouvait trop modérée (on murmure qu'il s'en est fait expulser), il crée la Sea Shepherd Conservation Society. Enfin libre de ses mouvements, arpentant les mers pour défendre baleines et requins massacrés, ce pirate du XX° siècle n'hésite pas à éperonner des navires baleiniers illégaux en pleine mer ou à les saboter directement à quai, quitte à les envoyer par le fond. Sa réponse aux accusations ? "Si moi ou mon association étions des terroristes, nous ne serions pas légalement reconnus  et soutenus dans le monde entier ! Nous n'utilisons ni armes à feu, ni explosifs, et souhaitons uniquement faire respecter les lois internationales de protection marine".
Tout aussi écolo-musclée mais cette fois côté terre, l'association américaine Earth First! réunit des "saboteurs écologiques". Leur combat ? La préservation des sites naturels. Leurs actions ? Occuper des arbres ou des zones vouées à un chantier, attaquer des industries en justice, mais aussi détruire les engins de travaux (en sablant le réservoir ou en crevant les pneus), planter des clous à la base des arbres pour détruire les dents des tronçonneuses, voire éliminer à l'explosif des bâtiments jugés dangereux pour l'environnement.
UNE EXCEPTION FRANCAISE ?
Face à ces exemples internationaux, on peut s'interroger : la menace pointera-t-elle son nez chez nous ? Entre les démonteurs de Mac Do, les arracheurs de plants transgéniques et les manifestants antispécistes* qui sacrifient des peluches ou distribuent des tracts au Salon de l’Agriculture, il n'y a pas vraiment de quoi crier à la menace mortelle. Pourtant, certains s'inquiètent. Depuis fin 2006, une trentaine d'actions ont été revendiquées par l'ALF sur le territoire français : commerces de fourrure vandalisés, camions de boucherie et de cirque brûlés, animaux libérés ... Début mai, elle a revendiqué son premier incendie : celui de Tecniplast, société équipant des entreprises qui utilisent des animaux comme cobayes. Les experts restent cependant très mesurés : "Bien que les bases soient là, ce genre de système ne "prend" pas vraiment en France, explique Daniel Boy, spécialiste des mouvements écologistes et directeur de recherche au Cevipof (Centre de recherche politique de Sciences Po). Pourquoi ?  C'est une question très complexe, qu'on peut en partie expliquer par la religion : dans les pays du Nord, le protestantisme donne une grande place à la responsabilité individuelle, ce qui pousse plus les gens à s'impliquer dans les problèmes de société." Pour Guillaume Veillet, qui prépare une thèse sur le sujet, l'explication est surtout politique : "Le système bipartite anglais, rigide, ne laisse pas beaucoup de place aux contestations. Du coup, les Britanniques ont l'habitude d'exprimer leur opposition par des actions directes. C'est moins le cas en France, de culture non-violente, où les écolos ont d'autres moyens de s'exprimer." Pour Graeme Hayles, spécialiste des mouvements d'action directe écologistes en France et maître de conférences à l'Aston University (Angleterre), il faut aussi prendre en compte le facteur gastronomique : "Nous n’avons pas la même conception du terroir, et la place de l’animal dans l’imaginaire anglo-saxon diffère énormément de celle qu’elle occupe dans l’imaginaire français." Catholiques, cartésiens, non-violents et amateurs de foie gras, les Frenchies seraient en quelque sorte immunisés contre les dérives de l'éco-activisme.
ON N’EN FERAIT PAS UN PEU TROP ?
Mais la vraie question, ici ou ailleurs, est de savoir si l'on n'exagère pas le phénomène ... Ou si l’on ne mélange pas tout. Certes, à la lecture de certains faits, on pourrait fantasmer sur une révolte de khmers verts. Pourtant, on ne peut s'empêcher d'être un brin sceptique : ce danger n'est-il pas extrêmement marginal ? Et doit-on vraiment parler de "terrorisme" ? Ne fait-on pas trop facilement l’amalgame avec la désobéissance civile ? A noter : en plus de trente ans d'activité, aucun de ces mouvements n'a fait le moindre mort. Un bilan qui manquerait de sérieux chez les FARC ou au Hamas. Pour exemple, Paul Watson, désigné comme l'un des Héros Ecologistes du XX° siècle par Times Magazine, n'a jamais causé de dommage corporel à quiconque, et se garde bien d'en prendre le moindre risque. Comme le rappelle Graeme Hayes : "Alors que la désobéissance civile vise une cible précise (loi, politique d’affichage ou champ transgénique), le terrorisme se définit avant tout par sa nature violente et clandestine, le choix indiscriminé des victimes, et un climat de peur généralisée." Il précise aussi : "Seul l'ALF peut être ici qualifié de terroriste". Car si l'un de leurs principes est de "prendre toutes les précautions pour ne pas blesser un animal, qu'il soit humain ou non humain", cela leur semblerait possible à l’avenir (voir encadré). Mais leur système d’adhérence et de non-hiérarchie leur joue des tours : les épisodes les plus violents ne reflètent pas les agissements de tous ses adeptes, et encore moins ceux des autres associations militant pour les animaux, souvent mises - à tort - dans le même panier.
D’autre part, on se demande parfois si les gouvernements n'ont pas des réactions disproportionnées face aux militants écologistes. On se souvient par exemple d'une arrestation surréaliste en juin 2003, dans le Larzac : avec ce commando de policiers équipés de gilets pare-balles, chiens, boucliers et hélico, quelle figure du grand banditisme venait-on cueillir ? José Bové, dangereux sarcleur de maïs. Autre sentiment de démesure de l'autre côté de l'Atlantique : selon Graeme Hayes, la classification d'un groupe dissident de EarthFirst! comme première menace terroriste domestique aux Etats Unis par le FBI il y a quelques années était "non seulement une absurdité, mais aussi une opération idéologique qui a brouillé des distinctions morales fondamentales." Chez Greenpeace, en tous cas, on n'oublie pas un certain attentat survenu en 1985. Quand le Rainbow Warrior, bateau de l'association parti manifester (pacifiquement) contre les essais nucléaires de Mururoa, a été coulé à l'explosif par les services secrets français. Le photographe du bateau, Fernando Pereira, y a perdu la vie. Vous avez dit terrorisme ?
Pour ne rien arranger, et entretenir la paranoïa ambiante, on constate une diabolisation des militants. Dans les medias, même les plus respectables, des articles n'hésitent pas à inventer des témoins sanguinaires, voire à comparer certains mouvements à Al-Qaïda. Ce qui, constate Guillame Veillet, est non seulement injustifié, mais constitue un manque de respect envers les vraies victimes du terrorisme.
Le préoccupant ALF mis à part, les éco-extrémistes apparaissent donc surtout comme des provocateurs. Alors, faut-il paniquer et hurler au péril vert ? La plupart des spécialistes sont très dubitatifs, Graeme Hayes le premier : "Il faut dédramatiser cette idée, et bien garder en tête qu’un éco-saboteur n’est pas un terroriste, et un désobéissant civil encore moins." Pour Paul Watson, le mot même d'écoterrorisme fait partie de la stratégie de propagande de ceux dont l'économie est menacée par les mouvements écolos. Et à l’avenir ? Les soucis environnementaux pourraient éventuellement pousser les plus fervents défenseurs de la planète à s’énerver plus fort pour se faire entendre. Mais côté animaux, un recul est envisageable : récemment, The Guardian indiquait qu’il y aurait de moins en moins d'attentats directs liés à la cause animale en Grande-Bretagne, en raison notamment d'une réponse policière accrue et d’une mobilisation nouvelle pour l’expérimentation animale. Dans le doute, restons vigilants, mais évitons peut-être de brandir crucifix et gousses d’ail à la face du premier végétalien venu.
* L’antispécisme, basé sur la notion d’égalité animale, proteste contre le fait que les humains dominent et exploitent les autres espèces (alimentation, habillement, divertissements, etc).

IL EST CONTRE ...
HUBERT REEVES, DE LA LIGUE ROC :
« ECOLOGISME ET TERRORISME SONT INCONCILIABLES »
Trois questions à Hubert Reeves, astrophysicien et président de la ligue ROC, association pour la faune sauvage, l’animal sensible et les non-chasseurs.
Photo© Benoît Reeves
Les écoterroristes affirment être "obligés" d'aller jusqu'à la violence pour faire bouger les choses : quel est votre avis ?
Les mots écologisme et terrorisme sont pour moi inconciliables : devenir criminel pour dénoncer des actes, fussent-ils criminels eux aussi, exclut d'appartenir aux défenseurs du vivant. Certes, il est urgent de défendre la biodiversité dont l’érosion met l'humanité en péril, mais une prise de conscience se développe et je crois que l'écoterrorisme est susceptible de créer au contraire un désastreux phénomène de rejet de l'écologie.
Que pensez-vous de la position antispéciste, qui refuse de placer l’homme au-dessus de l’animal ?
Les humains, par leur intelligence, ont développé les sciences, comprenant ainsi les connexions qui nous lient aux autres espèces. Ils ont aussi développé l'art et la création, qui embellissent la vie et permettent d'ajouter de la diversité à la diversité originelle. Et surtout, ils ont développé la compassion, qui fait prendre en compte la souffrance d'autrui : celle des humains d'abord, celle des animaux ensuite. Cela aussi distingue notre espèce des autres, et me paraît tout à fait légitime.
L'écoterrorisme est beaucoup moins présent en France qu’à l’étranger. Selon vous, cela risque-t-il d’évoluer ?
Je constate avec satisfaction que si la tentation est grande, elle est marginale, et je l'espère sans avenir. Mais ce n'est pas si sûr : à ne pas faire évoluer certaines pratiques, on laisse s'installer un climat propice à l'exaspération, où la violence peut être envisagée comme dernier recours. Ce fut le cas en Grande-Bretagne, où la contestation de la chasse à courre s'est confondue avec une certaine lutte des classes, pour finalement mener à de violents affrontements. Un parti s'est alors engagé à abolir la pratique. Mais faut-il vraiment que la violence paie ? C'est de la responsabilité du monde politique d'agir pour anticiper les conflits.

IL EST POUR ...
JERRY VLASAK, DE L’ALF :
« SI LES AUTRES PROCEDES NE MARCHENT PAS,
IL EST MORALEMENT ACCEPTABLE D’UTILISER LA VIOLENCE ».
Trois questions à Jerry Vlasak, physicien, porte-parole de l’ALF (Front de Libération Animale) aux Etats-Unis.
L’ALF est-il une organisation terroriste ?
Nous sommes une organisation anti-terroristes. Les terroristes sont ceux qui torturent et assassinent des animaux qui, contrairement aux cibles de l’ALF, sont innocents. En 30 ans d’activisme, l’ALF n’a jamais blessé personne. L’affaire Graham Hall (le journaliste « tatoué ») est une mystification. Il n’y a d’ailleurs pas eu de véritable enquête de la part de la police. Cela n’aurait pas de sens pour nous de marquer quelqu’un au fer rouge du sigle de notre organisation. Soit Hall a tout inventé, soit l’agression a été commise par un groupe qui nous est étranger.
Mais vous dites pourtant trouver légitime d’utiliser la violence pour vous faire entendre. Iriez-vous jusqu’à agresser des personnes dans le futur ?
Les gens qui maltraitent les animaux doivent être arrêtés. Si les protestations ne sont pas suffisantes, si les mesures pacifistes restent sans résultat, alors nous considérons qu’utiliser la force et la violence devient moralement acceptable pour stopper cette exploitation.
Que pensez-vous de la situation de l’ALF en France ?
Je pense que les Français sont de plus en plus conscients des atrocités que l’on fait subir aux animaux dans leur pays, et qu’ils vont être de plus en plus nombreux à vouloir réagir. Nous espérons qu’un jour l’ALF sera aussi actif en France qu’il l’est en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

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