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Réforme des retraites : « Un discours comptable face à des conditions de vie »

Publié le 15 octobre 2010 par Delits

Alors que les principales évolutions de la réforme des retraites sont entérinées par le Sénat, les mouvements sociaux se radicalisent. Dans ce contexte social paradoxal, Délits d’Opinion a rencontré Marisol Touraine, députée PS d’Indre-et-Loire et secrétaire nationale du PS pour la protection sociale.

Délits d’Opinion : Plus de sept Français sur dix affichent soutien et sympathie au mouvement envers la journée d’action contre le projet de réforme des retraites. Comment expliquez-vous un tel soutien ?

Marisol Touraine : D’abord, parce que c’est la première fois, en France, que l’on affiche une réforme dont l’objectif principal est une régression sociale. Jusqu’ici, les réformes sociales étaient la marque d’un progrès social, avec le recul de l’âge légal à 62 ans et de l’âge de départ sans décote à 67 ans, ce n’est plus le cas. Les Français ont le sentiment qu’on leur demande beaucoup, en particulier aux classes moyennes et aux plus modestes, alors qu’une partie de la population reste exonérée de toute contribution.

Les Français sont prêts à consentir des efforts, mais il faut qu’ils soient justes. Or, le Gouvernement fait porter 90 % des efforts sur les seuls salariés. Ce sont eux qui sont les premiers concernés par les hausses d’impôts prévues cette année, et non les plus aisés.

On comprend qu’ils s’opposent à cette réforme, qui constitue le point clé de l’injustice de la politique du Gouvernement.

La force de ce mouvement tient par ailleurs au fait que le Gouvernement tient un discours comptable alors que les Français mettent en avant les réalités de leurs conditions de travail et de vie : chômage, précarité de l’emploi, dureté du monde du travail, difficulté pour les jeunes à entrer dans la vie active. Les Français veulent qu’on s’adresse à eux, le Gouvernement s’adresse aux marchés.

Délits d’Opinion : Le dernier mouvement social a vu le plus grand nombre de personnes dans les rues depuis le début de la mobilisation, alors même que le Sénat a définitivement voté le report de l’âge légal à 62 ans et l’âge d’une retraite sans décote à 67 ans, quel que soit le nombre d’années de cotisation. Quelles sont désormais les ambitions de ces mouvements ?

Marisol Touraine : En effet, les mesures phares du projet du Gouvernement, les plus injustes, et sur lesquelles ni l’opposition ni les partenaires sociaux ne souhaitaient transiger ont été adoptées. Par définition, les ambitions des mouvements sociaux sont fixées par les organisations syndicales, je ne peux donc pas parler en leur nom.

Mais les avancées qui sont attendues sont celles que nous avons portées lors du débat à l’Assemblée. D’abord sur les carrières longues, qui doivent être élargies afin de permettre à ceux qui ont commencé tôt, et pas uniquement à 17 ans, de partir à 60 ans ou avant. La pénibilité, doit absolument faire l’objet d’une remise à plat, il faut supprimer la condition d’invalidité, pour mettre en place un dispositif fondé sur des critères objectifs d’exposition aux risques, et mettre le salarié au cœur du dispositif. La réforme de la médecine du travail, totalement inféodée à l’employeur, doit également être revue. Et enfin, aucune mesure n’est présente dans le texte, en dépit des faibles avancées consenties aux mères de 3 enfants, en faveur de l’ensemble des salariés précaires, aux carrières hachées, qui devront attendre 67 ans pour liquider leur retraite.

Délits d’Opinion : Dans quelle mesure la présence des lycéens dans les mouvements constitue-t’elle un soutien de poids et peut-elle accentuer la pression sur le Gouvernement ?

Marisol Touraine : Historiquement, la participation des jeunes, lycées, mais surtout des étudiants, a presque toujours fait basculer les mouvements sociaux. On se souvient du CPE, mais ce fut le cas également pour le Gouvernement Balladur, le Gouvernement Juppé… Presque toutes les mobilisations étudiantes ont conduit à des reculs. Cela a donc un impact évident sur l’issue d’une mobilisation.

Cependant, le Gouvernement semble décidé à ne rien céder, en témoigne la virulence dont il fait preuve à l’égard des jeunes. Il est sourd aux revendications des partenaires sociaux avec lesquels il n’y a pas eu de concertation. Il est sourd aux propositions de l’opposition que nous avons répétées lors des débats à l’Assemblée. Il est, surtout, sourd aux attentes des Français, qui veulent une réforme juste.

Délits d’Opinion : Un tiers des Français seulement (36%) croient en la promesse du PS de rétablir l’âge légal de la retraite à 60 ans en cas de victoire en 2012. Comment le Parti Socialiste peut-il se montrer plus convaincant ?

Marisol Touraine : L’ensemble des socialistes est d’accord pour revenir à l’âge légal à 60 ans. Les principaux responsables se sont clairement exprimés en ce sens.

L’UMP a tenté de faire croire que nous n’assumerions pas nos propositions. La vérité, c’est que le relèvement de l’âge légal à 62 ans constitue la plus injuste des mesures puisqu’elle fait reposer tout l’effort sur les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt, dans des carrières qui ont souvent été, sinon pénibles, du moins difficiles. Ce sont ceux-là qui sont le plus durement pénalisés. La droite a perdu la bataille de l’opinion et de la conviction, les socialistes sont face à une exigence : porter, quelle que soit l’issue de la mobilisation actuelle, la perspective d’une autre réforme, à la fois juste et responsable.

Propos recueillis par Olivier.


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