L'hyperbole de la prostitution

Ah, elle en fait couler de l'encre cette pub. Les internautes se déchainent en la détournant, parfois de façon pas très heureuse, en la modifiant pour en faire une agression contre l'islam.
Mais si cette pub prouve quelque chose, c'est qu'il est parfois aussi dangereux dans ce pays de condamner l'islam que de le caresser dans le sens du poil, à un point que ça en frise l'indécence.
"Fièrement" halal, donc. Du pur point de vue de la syntaxe, "fièrement" est un terme usuellement utilisé pour souligner un accomplissement, une action relevant d'un certain mérite (exemples totalement au hasard: "Rachid appelle fièrement sa maman pour lui dire que son entretien d'embauche a été un succès, le tout sans avoir changé son nom sur son cv" ou encore Ou encore "Rachid (le même) montre fièrement à ses amis son certificat de nationalité française parce qu'il en a bien chié pour l'obtenir", ou encore "Ce chomeur analphabete fan du PSG arbore fièrement son tatouage de la svastika sur sa fesse gauche, parce qu'il en a chié quand même"...bref, l'idée d'accomplissement, avec divers degrés fonction du cœur qu'on y met.)
Mais ici, "fièrement" n'a qu'une fonction: Se prostituer. Adapter son discours au religieux qui utilise lui même ce terme de façon galvaudée. Il me faut ici ouvrir une parenthèse d'ailleurs : Il faut vraiment expliquer au religieux qu'il n'y a pas de quoi être "fier" de ses croyances, car elles ne relèvent pas d'un accomplissement, mais d'un CHOIX. Donc, on recommandera au religieux d'être "heureux" d'être croyant (ce qui est très bien, et il en a le droit), au lieu d'en être "fier" , car si "heureux" designe un equilibre trouvé par la foi, "fier" dans ce contexte n'est pas loin de traduire un certain rejet de tout le reste. Je reprends pour les deux du fond: "heureux" ici veut dire "ma façon de vivre est la bonne pour moi" et "fier" veut plutôt dire "la façon de vivre est bonne pour moi, et ceux qui ne pensent pas comme moi sont des hérétiques devant lesquels je me dresse". La croyance oui, le complexe de supériorité, non.
Mais revenons à notre pub. Il se dit que le patron d'Isla Délice est juif. Alors bien sûr, cela n'a pas manqué de susciter l'émotion parmi certains musulmans "fièrement halals" justement, qui y ont vu malice et se sont dit qu'il y avait du financement des colons israélites là-derrière. Bref, c'est un autre sujet. Mais voilà, cette société, elle a tout compris. Difficile de dire si les leaders d'Isla sont musulmans ou judaïques ou rien de tout cela, mais au final, même chose. Jouer sur la fibre de la supériorité, qu'elle soit morale ou simplement basée sur l'appartenance même à un groupe distinct de personnes (ici, les musulmans) gonfle encore plus la "fierté" mal placée, ce sentiment d'intouchable, et aliène d'autant plus le reste de la population environnante. Le marché du halal, aussi légitime soit-il (plus de 6 millions de musulmans en France...Faut pas se voiler la face, sans jeu de mot), devrait rester discret, en tout cas, pas plus voyant que le reste des produits courants. Est ce que je gueule que je suis "fier" de manger du poulet uniquement en émincés, tranchés avec un couteau particulier, parce que, à la française, c'est comme ça? Non, ça ne rimerai à rien, et en plus, on me soupçonnerait de donner dans l'anti-religieux ou autres, vu l'époque qu'on vit.
Le religieux n'est pas supérieur ni inférieur au non-religieux, et ce genre de pub, surfant sur la sensibilité politique et religieuse actuellement très aiguisée de nos compatriotes coraniques, n'arrange rien au "débat" actuel. Rien de monstrueusement grave en soi, mais je trouve juste le propos un peu énorme, un peu concon, inutilement provocateur quelque part. Il existe des gens qui profitent commercialement du communautarisme ambiant, pour faire acheter "fièrement"  le musulman en manque d'affirmation, sans se soucier du fait que le Français républicain (quelques fois un peu beauf, mais dont la fibre française nationaliste existe encore) va encore avoir du grain à moudre face à l' "envahisseur voilé". Bref, Isla Délice, apparemment leader du marché de la viande coupé dans une certaine direction pour que ce soit comme le Monsieur Invisible a dit, se moque bien des tensions, tant que le profit est là.
Pas dramatique donc, mais symptomatique d'une époque sans grands états d'âme. Je serais musulman, je serais même indigné que mes préférences personnelles deviennent des publicités impudiques. 
J'exagère? Certainement. Mais c'est Isla Délice qui a commencé.