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La dépense publique n’est pas gratuite

Publié le 18 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints
La dépense publique n’est pas gratuite

Depense publique en pourcentage du PIB

Dans les années 1980, de nombreux commentateurs qualifièrent d’économie vaudou (vodoo economics) les théories de l’école de l’offre poussées à l’extrême selon lesquelles des réductions d’impôts sur le revenu pour tous peuvent augmenter les recettes fiscales. Actuellement, les tenants de l’économie de la demande considèrent à l’autre extrême que l’effet multiplicateur des dépenses publiques sur le revenu global est supérieur à un – L’équipe de Barack Obama utilise apparemment un nombre aux environs de 1,5.

Pour réfléchir à ce que cela veut dire, supposons tout d’abord que le multiplicateur soit égal à un. Dans ce cas, une augmentation d’une unité dans les commandes gouvernementales conduirait à une augmentation d’une unité du produit intérieur brut (PIB). Ainsi, les nouveaux biens publics sont en fait gratuits pour la société. Si le gouvernement achète un nouvel avion ou construit un pont, l’économie croit suffisamment pour qu’il soit possible d’acheter l’avion ou de construire le pont sans que personne ne voit sa consommation ou son investissement réduit.

L’explication de ce tour de magie est que des ressources inutilisées (travail ou capital) sont employées à produire les biens et services supplémentaires.

Si le multiplicateur est supérieur à un, comme apparemment le postule l’équipe Obama, le processus devient encore plus merveilleux. Dans ce cas, le PIB réel croit davantage que l’augmentation des dépenses gouvernementales. Ainsi, en plus de l’avion ou du pont gratuit, on a également plus de biens et de services restant pour augmenter la consommation privée ou l’investissement. Dans ce scénario, le surplus de dépense publique est une bonne idée, même si le pont ne conduit nul part ou si les travailleurs sont employés à remplir des trous. Bien sur, si ce mécanisme fonctionnait, on pourrait se demander pourquoi le gouvernement devrait s’arrêter à un trillion de dollars de dépenses supplémentaires.

Ou est le défaut de ce raisonnement? La théorie (un modèle macroéconomique keynésien simple) suppose implicitement que le gouvernement est meilleur que le marché pour allouer les ressources inutilisées à la production de choses utiles. La main d’œuvre et le capital inutilisés peuvent être utilisés à un coût social quasi-nul, mais le marché est en partie incapable de s’en rendre compte. En d’autres termes, quelque chose cloche avec le système des prix.

John Maynard Keynes pensait que le problème se trouvait dans le niveau excessivement élevé des salaires et des prix. Mais ce problème pourrait être facilement résolu par une politique monétaire suffisamment expansionniste pour que les salaires et les prix n’aient pas à chuter. Par conséquent, quelque chose de plus profond doit jouer – mais les économistes n’ont pas trouvé d’explications, telle que l’information imparfaite, pour des multiplicateurs supérieurs à un.

Un point de départ beaucoup plus plausible est un multiplicateur égal à zéro. Dans ce cas, le PIB est une donnée fixe et une augmentation dans les dépenses gouvernementales nécessite une baisse équivalente d’autres composantes du PIB – consommation, investissement ou exportations nettes. En d’autres termes, le coût social d’une unité supplémentaire de dépenses publiques est égal à un.

Cette approche est celle généralement appliquée à l’analyse coût bénéfice des projets publics. En particulier, la valeur du projet (incluant disons la totalité des futurs bénéfices du pont ou de la route) doit justifier son coût social. Je pense que cette perspective, pas celle des supposés bénéfices macroéconomiques d’un stimulus fiscal, est la perspective à appliquer pour les nombreux nouveaux programmes gouvernementaux ou expansions que nous verrons probablement émerger cette année et la suivante.

Que montrent les données à propos des multiplicateurs? Étant donné qu’il est difficile de distinguer les mouvements séparés des dépenses gouvernementales du reste des fluctuations de l’économie, les données les meilleures proviennent des changements importants dans les commandes militaires qui sont entrainés par les alternances de paix et de guerres. Une expérience particulièrement bonne est l’expansion massive des dépenses militaires américaines pendant la seconde guerre mondiale. Dans la théorie keynésienne classique, l’expansion fiscale pendant la seconde guerre mondiale procura le stimulus qui nous fit finalement sortir de la Grande Dépression. Dès lors, je pense que la majorité des macroéconomistes considèreraient cet exemple comme un exemple adapté pour voir si un multiplicateur d’envergure existe même.

Selon mes estimations, la seconde guerre mondiale a fait augmenter les dépenses militaires de 540 milliards $ (dollars de 1996) annuels au pic de 1943-1944, ce qui représentait alors 44% du PIB réel. Toujours selon mes estimations, la guerre fit croitre le PIB réel de 430 milliards annuels en 1943-1944. Dès lors, le multiplicateur a été de 0.8 (430/540). En d’autres termes, la guerre a réduit les autres composantes du PIB à l’exception des dépenses militaires. Les principales baisses furent celles de l’investissement privé, des dépenses non militaires du gouvernement et des exportations – la consommation des ménages varia peu. La production de guerre siphonna les ressources utilisées à d’autres fin par l’économie – il y a eu un réducteur bien plus qu’un multiplicateur.

De la même façon, on peut étudier trois autres cas de temps de guerre aux États-Unis – 1ère guerre mondiale, guerre de Corée et guerre du Vietnam -, bien que l’importance des dépenses supplémentaires soit bien moindre en pourcentage du PIB. En additionnant les conclusions que l’on peut en tirer avec celles de la seconde guerre mondiale (qui ont un poids beaucoup plus important dans le calcul en raison de l’importance de la dépense publique supplémentaire dans ce cas), on obtient un multiplicateur de 0,8 – la même valeur que précédemment. (Ces estimations ont été publiées l’an dernier dans mon livre Macroeconomics, a Modern Approach.

Il y a des raisons de croire que le multiplicateur de 0.8 en temps de guerre est substantiellement plus élevé que celui qui s’applique pour des dépenses gouvernementales en période de paix. D’une part, la population s’attend à ce que les dépenses supplémentaires en temps de guerre soient temporaires. Dès lors, la consommation des ménages chutera peu. D’autre part, l’utilisation de la conscription en temps de guerre a un effet direct et coercitif sur l’emploi total. Enfin, l’économie américaine avait repris un rythme de croissance rapide après 1933 (si l’on met à part la récession de 1938) et il est probablement exagéré d’attribuer l’intégralité de la hausse rapide du PIB entre 1941 et 1945 aux dépenses militaires supplémentaires. Dans tous les cas, quand j’ai essayé d’estimer directement le multiplicateur associé avec les commandes gouvernementales en temps de paix, j’ai obtenu un chiffre non significativement différent de zéro.

Comme nous le savons tous, nous sommes au milieu de ce qui sera probablement la pire contraction de l’économique américaine depuis les années 1930. Dans ce contexte et d’après l’histoire de la Grande Dépression, je peux comprendre les différentes tentatives de soutenir le système financier. Ces efforts, afin d’éviter les paniques bancaires du passé, est la reconnaissance du fait que les conséquences sociales des décisions sur le marché du crédit s’étendent bien au delà des individus et des entreprises qui prennent les décisions.

Mais, en terme de propositions de stimulus fiscal, il serait malheureux que le mieux que l’équipe Obama puisse offrir soit une version même pas mise à jour de la Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et de la monnaie de 1936 de Keynes. La crise financière et la récession possible n’invalident pas ce que nous avons appris en macroéconomie depuis 1936.

Une plus grande insistance devrait être mise sur les incitation à investir, produire et travailler pour les individus et les entreprises. Sur le plan fiscal, il faudrait éviter les programmes qui arrosent d’argent les gens mais se concentrer à la place sur la réduction des taux marginaux des impôts sur le revenu – en particulier là où ils sont déjà hauts et tombent sous le coup de l’impôt sur les plus-values. Supprimer l’impôt fédéral sur les bénéfices [NdT: par opposition aux impôts sur les bénéfices prélevés au niveau des états] serait une excellente chose. Sur le plan des dépenses, l’élément essentiel est que nous ne devons pas envisager des programmes massifs de grands travaux qui ne passent pas avec succès l’analyse coût-bénéfice. De même que dans les années 1980, quand croire en l’extrême des théories de l’école de l’offre n’était pas justifié, il serait faux de croire aujourd’hui qu’ajouter des dépenses publiques supplémentaires ne coûte rien.

Article paru dans le Wall Street Journal, avec pour titre original « Government Spending Is No Free Lunch: Now the Democrats are peddling voodoo economics », traduction Catallaxia, 2009 (avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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