(Faux) croquis #4 (s'il fallait en dresser un) : silhouette longue étalée sur le siège, bras ouverts autour de lui, face tournée successive vers son pote de droite puis de gauche, casquette cubaine beige vissée puis lâchée à l'arrière du crâne, deux piercings sur et dans lèvre inférieure, idem sur lobe droit, léger bouc serré sur visage fin, peau claire manches relevées, verni à ongles (rongés) noir, large veste noire ouverte sur Marcel blanc tête de mort noire incomplète sérigraphiée (with glitters), tatouage tentaculaire qui remonte sur pectoral gauche et légère clavicule plaquée blanche sur la peau, pantalon large trop noir retombe sur paire de Converse rouges et noires bloquées derrière un ampli sourd
Aperçu ce type dans le RER, dix-huit, dix neuf ans peut-être, assis entre et face à ses deux potes du moment, le genre gothico-punks, un ampli débranché entre leurs pieds. Sa veste ouverte et l'échancrure lâche de son Marcel laissait traverser un tatouage à l'encre encore fraiche. Les regards (sien compris) attirés sur son pectoral gauche semi-couvert, par fierté et par tripes. J'ai vu à travers lui l'un des personnages qu'Emmanuelle Pagano aurait pu croquer dans l'un de ses romans (masculin cette fois). J'ai vu à travers lui, paradoxalement sans doute, l'un de ses corps empêchés ; à présent l'un des miens.
Leader christ-adolescent de son groupe de néo-punks, il exhibe son fantasme à demi assumé d'une chair étroitement marquée par l'aiguille du tatoueur (mensurations de la dite aiguille à l'appui). Les regards convergent vers lui mais le sien fuit, par la fenêtre défilée ou ailleurs. Rigidité qui ne coïncide pas avec l'image physique qu'il se réserve pour lui-même (timidité cadavérique). Ses gestes cachent mal les sursauts de son torse régulier : les frontières du Marcel s'ajustent secs par dessus des os trop privés pour les autres. L'échancrure est large, parfois trop, alors il tire sur le tissu et récupère sa peau. Les jambes cassées aux genoux et écartées perpendiculaires s'équilibrent sous le repli des bras autour du col. L'air de rien il théorise la douleur encore fraiche de son martyre claviculaire. Les mots lui reviennent plusieurs fois entre les lèvres. Impossible de comprendre (sa peau masquée par le tissu et la tête de mort incomplète) quel est exactement le tracé de l'encre noire sous le nylon blanc, quel schéma s'y articule, quel dessin, comment se développe le dégradé et les trames de gris dont il parle. Il force l'échancrure du Marcel pour leur montrer l'esquisse cutanée dans ses largeurs avant retour brouillon au moulage originel. Il redresse les manches fictives de son Marcel à minutes fixes, et avec lui le reste du tissu glisse sur une peau qu'il maintient en grand écart permanent : exhibée par luxe de ses scarifications privées puis rapidement recouverte par malaise des premiers jours. Son corps osseux lui échappe, ça le déborde par les épaules. Corps empêché et bombé à la fois. Grand écart intenable des heures où les regards s'affûtent et où la peau régresse. Acné et chair de poule mêlés, du sternum à la gorge.
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