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Plus ou moins le même asphalte

Publié le 26 juillet 2008 par Menear
Parce que pris par hasard (par coïncidence en réalité) dans quelques uns de ces Quinze mille pas, en voici un extrait particulièrement représentatif d'une écriture
1) à la fois cyclique et cyclothymique
2) filée par l'agréable métaphore de la route
3) superbement posée, raclée et relancée (et probablement admirablement traduite)
4) résolument moderne à grands coups de barbouillage classique.
Pas de chronique parce que pas le temps, mais mériterait.
Où que nous nous trouvions, pensais-je, nous sommes cernés par un réseau de routes asphaltées qui mènent en tout lieu. Des routes qui continuent à s'allonger, passant au-dessus ou au-dessous d'autres routes, de bois, de vallées et de villages et de villes, de cours d'eau, au-dessus de la mer, carrément au-dessous de la mer ; des routes qui s'élargissent, d'une voie à deux puis à trois, à quatre avec la bande d'urgence, huit en tout dans les deux directions. Un enchevêtrement inextricable de routes qui mènent partout. De l'endroit où je me trouve, si seulement je le voulais avec la détermination nécessaire, je pourrais, si je le voulais, décider, à n'importe quel moment, de partir pour n'importe quel endroit, pour Paris, pour Berlin, pour Amsterdam ou Rotterdam ou Brême, d'ici, pensais-je, de ce quelconque endroit où je me trouve, je pourrais décider même maintenant de partir pour Amsterdam ! ; je n'aurais qu'à unir entre eux une série de points correspondant à autant de croisements, confluences, divergences, superpositions sur un plan spatial différent, franchissements de diverses natures, montées et puis ensuite descentes, montées et descentes, tangentes, ronds-points, ronds-points tangents, sécants, arcs, demi-cercles et cercles rotatoires spiralés et autre, je n'aurais que cela à faire : identifier et unir tous ces différents points, pensais-je, puis simplement suivre le parcours sans jamais en réalité quitter la route. C'est toujours la même route, pensai-je tout d'un coup, et c'était une pensée effrayante. C'est toujours la même route, pensais-je, non pas une première route reliée à une deuxième par une troisième, mais toujours la même route, en chaque point, de toute façon la même route, toujours plus ou moins le même asphalte. C'est toujours la même route, pensais-je, sans cesse sillonnée en long et en large et en tous sens par des millions de véhicules, par des millions d'êtres humains dans ces véhicules, d'un endroit à un autre en passant par un endroit ou un autre, tous sur la même route, tous, véhicules et êtres humains, sur la même route qui mène à tous les endroits, qui au fond, à bien y regarder, sont toujours le même endroit, mais c'est là un problème de toute autre nature, pensai-je.
Vitaliano Trevisan, Les quinze mille pas, Verdier, trad : Jean-Luc Defromont, P.31-32.

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