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Olivia Rosenthal, On n'est pas là pour disparaître

Publié le 26 mai 2008 par Menear
Je sais : je suis en retard. La plupart de mes « collègues blogueurs » (ou pas d'ailleurs) ont chroniqué ce livre il y a plusieurs mois. A sa sortie en réalité. Et la plupart est tombée d'accord pour souligner qu'il s'agissait très probablement de l'un des événement de la dernière rentrée littéraire. Le plus fort, le plus percutant. Du coup : ça fait un moment que je suis tenté de le lire. Depuis plusieurs mois. Depuis sa sortie en réalité.
Olivia Rosenthal, On n'est pas là pour disparaître

Fort, le mot semble approprié. Le sujet du livre pouvait de toute façon difficilement être traité autrement. Parce qu'au centre de ces pages, c'est la maladie d'Alzheimer qui prend place. Qui s'impose. Qui s'étend. La maladie de A., comme l'appelle parfois Rosenthal en amputant le patronyme du médecin allemand qui lui a prêté son nom, bien malgré lui d'ailleurs. C'est elle (la maladie) qui réunit toutes les voix qui se rassemblent entre les pages. Car On n'est pas là pour disparaître est un livre polyphonique. Un livre, je précise, pas un récit.
Faites un exercice.
Imaginez-vous dans la situation de celui dont l'histoire à été engloutie.
Imaginez-vous à table, dans l'ignorance de ce que vous mangez, de l'endroit où vous vous trouvez, des objets qui vous entourent, des gens qui vous parlent familièrement et qui vous paraissent des étrangers.
Olivia Rosenthal, On n'est pas là pour disparaître, Verticales, P.145.
Le postulat de départ est des plus aventureux. Des plus risqués également. Creuser en soi dans ses peurs les plus primaires pour y installer avec violence la maladie de A. qui, peut-être, s'y terre déjà. Et prendre la maladie à bras le corps ensuite, cerner toutes ses faces. Ce qui signifie prendre le partie d'englober plusieurs réalités parallèles. Ce qui signifie plonger dans la tête du malade mais pas seulement. C'est aussi se confronter au regard des proches, de la famille. Du personnel qui l'accompagne. Des médecins. Et même, lors de quelques moments de digressions historiques, se pencher sur le nom entier de A. Alzheimer, soit le scientifique dont les travaux ont contribué à mettre à jour cette forme de dégénérescence mentale. Toutes les faces du livre sont là. Toutes plus une : à savoir la figure de l'écrivain qui se plonge littéralement dans la maladie. J'en reparlerai.
Le texte est parfois dense, parfois laconique. Les courts chapitres muets s'enchaînent. Ils ne portent pas de numéro, pas de titre. Parfois, la page blanche recouvre tout. Parfois, la page blanche est saturé de discours. Souvent, il s'agit des pérégrinations mentales d'un patient atteint de la maladie de A. Souvent, on se surprend à penser ah ouais quand même. Ou bien juste là je sens la plume de l'auteur, est-ce que c'est normal ? Réponse en suspend, moi-même je ne l'ai pas.
Le livre est relativement équilibré. La structure ne saute pas aux yeux, ce qui, dans ce type d'expérience polyphonique, est toujours appréciable. Rosenthal alterne logiquement les discours : un coup le malade, un coup la femme du malade, un coup la fille, un coup le médecin, un coup l'écrivain qui écrit sur, etc. Au-delà de cet agencement régulier, le texte est également soutenu par la progression « à rebours » du diagnostique de la maladie ; on assiste en effet à la prise de note régulière du médecin de ce patient X (qui est en réalité un monsieur T.) depuis le plus récent jusqu'au plus ancien de ses rendez-vous. Cette articulation, en plus de contribuer à cadrer les différents discours qui parfois se chevauchent, pose également la question pertinente du diagnostique de cette maladie qui, de part ses symptômes mêmes, est parfois difficilement dissociable de la banale vieillesse.
Entre les discours des différents protagonistes (tous anonymes, tous amputés de leurs noms, tous ombres lentes ; tous étouffés par le poids du texte), on s'étonne parfois de voir muter la prose en poésie laconique et lacunaire. Une poésie de l'oublie, du cycle, de la répétition. Si ces incursions peuvent surprendre à première lecture, elles prennent tout leur sens une fois le texte englobé dans sa totalité. Il ne s'agit pas de savoir ce que la littérature peut faire pour la maladie d'Alzheimer mais bien comment la littérature peut parvenir à incarner la maladie. On n'est pas là pour disparaître est un livre qui plonge en eaux profondes ; celle de la pathologie elle-même. On n'est pas là pour observer, on est là pour éprouver.
Au lieu de raconter la vie d'un homme telle qu'elle s'est produite, on pourrait entrer dans son esprit et décrire comme on le ferait d'une carte de géographie les zones inexplorées qu'il a renoncé, malgré son désir, à conquérir. On pourrait analyser ce renoncement, mesurer le rapport entre les aspirations et la réalité et tirer de ce rapport diverses conclusions sur la lâcheté, la paresse, la pusillanimité. Celui qui obtiendrait un chiffre inférieur à un serait considéré comme un vélléitaire. Les autres auraient le droit de s'autoféliciter.
Ibid., P.202-203.
Olivia Rosenthal précise à la fin de son livre qu'il s'agit « d'un ouvrage de fiction ». On note l'astuce de la formule. Il ne s'agit pas d'une fiction. On n'écrit pas une fiction, on fait oeuvre de fiction. C'est probablement la raison pour laquelle toute trace de narration a été ici gommé. Il n'y aucune focalisation, simplement les discours brutes de celles et ceux qui se croisent et se bousculent au carrefour de la maladie de A. Une volonté très française de s'en tenir au langage. On ne raconte pas des histoires (d'ailleurs on ne sait pas faire), ça n'intéresse pas. Ça n'est pas l'important. L'important, c'est de rester sur la sécheresse, l'absurdité de la langue.
Je soulève pourtant un problème. Un point très précis qui m'a gêné dans ma lecture du livre. Je me demande tout à fait simplement : mais que fait Olivia Rosenthal (elle, son corps, son nom) dans le chaos de sa propre fiction ? Mon hypothèse sur la chose : elle ne l'assume pas, sa fiction. Très français, ça aussi. Elle la fuit, elle la déguise, elle l'enveloppe. Elle la dénature. Et quel dommage de dévier (même de peu) de la fiction de la sorte. Pour moi le principal défaut du livre est là : il ne s'assume pas. Dommage, car il s'agit pourtant d'un des livres français les plus percutants que j'ai lu cette année. Mais je ne peux même pas m'en empêcher, je le précise à nouveau : je dis livres français, je ne me retiens pas de coller l'adjectif à nouveau. Sans aller jusqu'à parler de tare hexagonale, on peut tout de même regretter que l'expérience n'aille pas au bout d'elle-même. Dommage. On n'est pas là pour disparaître : un bon livre, seulement.
[Article également disponible sur Culturopoing]

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