Magazine Culture

Matriochkas ferroviaires

Publié le 18 avril 2008 par Menear
Hier.
Je suis assis dans le train à côté d'un type qui se cache derrière ses cheveux et de l'autre côté de ses cheveux traverse un regard qui s'étale sur l'écran LCD d'un portable de marque Apple à la carrosserie métallisée. Il regarde Je suis une légende, en version française probablement puisque je ne remarque pas de sous-titres (ou alors en version originale non sous-titrée ou alors en version polonaise parce qu'il doit bosser son polonais), l'image rame lorsque l'action se précipite un peu trop sur l'écran, l'image rame souvent.

Je me souviens avoir marché tout seul le long de l'avenue Mitterrand au Mans et avoir vu glisser sur l'asphalte les gommes d'un bus de la Setram sur les parois duquel on pouvait apercevoir les premières images promotionnelles du film Je suis une légende (de la pub donc) avec la tronche à Will Smith en gros plan et le titre JE SUIS UNE LEGENDE écrit en gros et en gras comme à l'instant. Ignorant tout de ce film (qui à l'époque n'était pas encore sorti en salle)...


et du bouquin aussi par la même occasion car j'ignorais que ce film en réalité était tiré d'un bouquin de Richard Matheson dont Hugo m'a expliqué le concept après coup.


...je me demandais sérieusement, en voyant défiler ces affiches mouvantes autour de moi, pour quel film on faisait là la promotion et pourquoi le slogan de la pub recouvrait toute l'affiche ; en gros je me disais « je suis une légende, ok, on a compris, mais c'est quoi le titre du film ? »


Le film dure peut-être quarante-cinq minutes ou une heure (ou une heure dix) avant de se figer dans le flou d'une image noire : plus de batteries.

Le plan précédent faisait glisser Will Smith dans un piège grossier, un taxi tombe à la renverse depuis le bord d'un pont et le corps de Will Smith bascule à l'envers, pendu par le pied à un mètre du sol, son chien autour s'agite et lui saute autour et l'image noir se fige à ce moment là.


Mon voisin de siège ferme le capot de son portable de marque Apple et sort son lecteur MP3 de marque Apple sur l'écran duquel il regarde quelque chose, autre chose, que je n'arrive pas à identifier parce que l'écran est trop petit, je remarque juste qu'il y a des sous-titres cette fois-ci.
Pendant ce temps je sors un bouquin parce que j'ai toujours des scrupules à visser les écouteurs de mon MP3 dès le début du voyage. Des scrupules, j'en ai également en ouvrant les pages d'Eden, Eden, Eden, ou plutôt non, pas des scrupules, mais plutôt un léger embarras, parce que lire ce genre de livre en public, ça fait bizarre. Donc je m'enfonce sur mon siège.

Et pendant ce temps là je ne lis pas la suite de Mao II comme indiqué sur la banderole de droite...


ou d'ailleurs si jamais un visiteur du futur décide de s'intéresser à ce billet et qu'entre temps le design ait changé


...tout simplement parce qu'il ne m'emballe que moyennement.


Sur la surface filante-panoramique de ma vitre personnelle...

Dans la mesure du possible, j'essaie de toujours prendre des places côté fenêtre, ci-possible à l'étage, pour mieux pouvoir observer le paysage tartiné autour des wagons qui défilent.


L'autre raison c'est que je n'aime pas avoir à me lever pour faire de la place quand mon voisin décide brusquement d'aller aux toilettes ou bien de gagner la voiture bar : cela m'emmerde.


...je remarque ou plutôt j'attends...

Depuis que j'emprunte cette ligne et ces TGV, je suis toujours alerte et impatient quand ce moment arrive, c'est une habitude et un plaisir parfaitement inexplicable.


... l'irruption soudaine-pas-si-soudaine de la gare de Massy...

Elle est enterrée dans le sol, sorte de long couloir obscur dans un trou bordé de quais et, parfois, de voyageurs en file indienne sur ces quais et, au bout du bout du tunnel, parfois, un morceau de ciel sur lequel fusent les réacteurs silencieux d'un avion qui décolle ou bien se pose.


...et surtout l'après Massy, parce que le paysage filant-panoramique exhibe quelques unes de ces zones industrielles que j'aime particulièrement observer, pas parce qu'elles sont esthétiques bien sûr mais justement parce qu'elles sont affreuses et grandioses et que s'enchaînent sur les asphaltes à la fois des usines bétonnées et rouillées ou encore des immeubles écaillés ou bien des champs de voitures brillantes à perte de vue ou bien des sorties d'autoroutes entortillées ou bien des échangeurs ferroviaires qui s'entremêlent et qu'on traverse tout à fait accessoirement.

Je me demande par ailleurs comment fonctionnent ces fameux échangeurs : comment organise-t-on les passages de tels TGV pour telles destinations et comment le planning doit être minuté pour ensuite ouvrir d'autres voies pour d'autres TGV qui eux-mêmes filent déjà vers d'autres destinations, probablement situées à l'autre bout de la France par rapport à celles pour lesquelles je me suis engagé, et probablement, à l'intérieur, des centaines de passagers qui lisent, dorment ou mangent, se déplacent peut-être, à trois cent kilomètres heure et qui ne se demandent pas une seule fois comment fonctionnent ces fichus échangeurs ferroviaires qui ne s'appellent d'ailleurs probablement pas des « échangeurs » en réalité car je dois confondre avec les échangeurs autoroutiers...


Après piètre vérification, Wikipédia ne clarifie pas ni ne confirme ma confusion vis à vis de cette histoire d'échangeurs.


Ajout du 20 avril 2008 : Dans son commentaire d'hier, Tom me suggère fort sympathiquement le mot "aiguillage" . Va pour "aiguillage".


Lorsque ces moments arrivent, je colle mon coude contre la bouche d'aération-climatisation...

L'air froid se colle contre la manche de mon pull et s'infiltre à l'intérieur.


...et mon regard contre la vitre sur laquelle s'animent ces panoramas tant attendus et je fixe les masses défilantes de choses qui s'échouent par dessus la carcasse du TGV.

Je sors par ailleurs mon portable et commence à filmer ces zones fuyantes qui ne cessent de s'échapper de la surface de « ma » vitre.


Depuis que je prend cette ligne et ce TGV pour revenir à Sainté, je me dis que « la prochaine fois j'emporte ma toute petite caméra-vidéo et je filme la vitre sur laquelle s'échouent mes paysages » mais je ne le fais jamais, faute de mémoire, faute de temps, de peur d'avoir l'air d'un pitre.


Cette fois je filme et je fixe l'image mouvante elle-même fixée sur l'écran de mon portable. Deux ou bien trois fichiers (je ne sais plus) pour une durée totale d'un quart d'heure environ. Massy et sa banlieue.


La banlieue parisienne et sa banlieue.


La campagne à portée d'oeillade.


Pendant mes observations panoramiques, tenant mon portable à droite, je zappe les musiques défilantes de mon MP3 à gauche. Je cherche avec plaisir les musiques tirées des duels de la série Utena dans laquelle nous nous sommes replongée, avec Hugo, depuis quelques jours. Quelques musiques tirées du film, également. Arrivant sur l'une des nombreuses chansons de Bowie qui fleurissent entre mes 20 giga de mémoire...

Letter to Hermione, en l'occurrence, tirée de l'album Space Oddity.


...je me remets à penser à ce concert hypothétique et purement fictif que Bowie donnerait si jamais il décidait de rechanter en live toutes les chansons qu'il néglige habituellement dans ses tournées (récentes, tout du moins). J'y repense de temps à autre et au fur et à mesure que se bâtit le temps, je bâtis moi-même ma propre playlist que je ne manquerais pas de proposer au thin white duke lorsque celui-ci décidera enfin de se lancer dans une telle entreprise. Outre Letter to Hermione, je verrais bien des chansons comme Lady Grining Soul... ...Scream like a baby... ou encore Thru these architect's eyes... ...soit trois chansons pas forcément très connues de Bowie que j'apprécie beaucoup.
En étendant mes jambes parce que trois heures de TGV c'est long je fais craquer mon genou gauche qui me lance toujours depuis mardi.

Mardi, dans les rues du vieux Mans, alors que nous cherchons négligemment un restau pour le soir et qu'on se prépare à opter pour une pizzeria qui à l'air sympathique...


En réalité cette pizzeria sera dégueulasse, comme la première pizzeria mancelle qu'on avait essayé plusieurs mois plus tôt sur la place de la République.


Apparemment les manceaux ne savent pas faire des pizzas : ça fait deux fois qu'on se retrouve avec des espèces de tartes pseudo croustillantes et pleines d'huile dans nos assiettes, et ce n'est pas bon du tout. A noter donc : ne pas manger de pizzas quand on se trouve au Mans. Les glaces (chocolat liégeois, dame blanche), en revanche, sont bonnes.


...je me tords la cheville entre deux pas et deux pavés et je m'étale par terre, sur les genoux en vrac, et les avant-bras un peu, parce que j'avais un sac avec des bouquins dedans entre les mains et, par instinct peut-être, par bêtise sans doute, j'ai préféré les préserver.


En l'occurrence, Le pendule de Foucault d'Umberto Ecco pour Hugo et une version anglaise de Moby Dick imprimée sur du papier chiotte (very dick). De son côté, Hugo porte des petits sacs avec à l'intérieur de nouveaux écouteurs pour mon MP3, un recueil de nouvelles de Roberto Bolano dont j'ai oublié le titre et la saison 4 d'X-Files expressément attendue.


Du coup je me relève avec une boule mouvante dans le genou gauche et des éraflures sur la peau et la surface de mon jean est abîmée.


Tout comme, bien des années en arrière, lorsqu'on jouait au foot dans la rue et donc sur l'asphalte et que j'étais goal souvent et que je plongeais sans hésitation et bizarrement, à cette époque, le sol ne me paraissait pas aussi dur qu'il m'a paru mardi dernier, probablement parce qu'à cette époque je tombais de moins haut ou peut-être parce que c'était une nécessité obligatoire ; mes pantalons, eux, finissaient souvent dans ce même état.


Proche de Lyon, le conducteur nous annonce que nous « arrivons bientôt à la gare de Lyon-Part-Dieu dix minutes d'arrêt » et le type à côté de moi...

Le même qui regardait Je suis une légende à travers ses cheveux et les batteries de son portable.


...me demande si « c'est bien la gare de Lyon-Part-Dieu. Je lui réponds « ouais ! » parce que je ne vois pas quoi lui répondre d'autre. Arrivé à Lyon, comme souvent, le TER pour Sainté se trouve sur le quais d'en face quand je débarque de mon TGV...

Qui, sans moi à l'intérieur, poursuit son parcourt jusqu'à Montpellier.


Où se trouve aujourd'hui (vendredi) Elise qui recherche des apparts, et que je devrais croiser dans les jours à venir.


...donc je poireaute sur ce quais là sans passer par les labyrinthes nains (comparés à la gare de Lyon j'entends) de la gare de Lyon-Part-Dieu. Les rafales d'air froid me rappelle qu'au pays des poulets, ces derniers jours, il faisait plutôt bon. Mon TER a cinq minutes de retard. J'attends en compagnie de trois théâtreux qui, de toutes évidences, se rendent à Sainté dans le but de passer le concours de la Comédie de Saint-Etienne.

Je vérifie bien qu'il ne s'agit pas de la soeur d'Hugo qui doit également se rendre à Sainté pour ce même concours dans les jours à venir (ou aujourd'hui peut-être, je ne sais plus), mais en fait non, il y a deux filles...


Dont une qui fait tomber sa pomme par terre et sa pomme roule sur le quais et manque de tomber au milieu des rails mais en fait non, arrêtée à temps par la main de la fille en question.


...et un mec.


Qui porte des Converse bleues qu'il qualifie lui-même de « chaussures de clown ».


Une fois dans le TER, ils martèlent le nom de « Saint-Etienne »...

Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne, Saint-Etienne...


...suffisamment souvent pour me donner l'impression que cette suite de sons n'est plus un mot mais une espèce de lieu légendaire qui n'existe pas, plus. Autour de nous s'étalent des paysages qui s'engrisent. On remarque parfois les crassiers naissants.

Du côté des sièges de devant, occupés par les théâtreux, j'entends certaines bribes de leurs paroles. Ou plutôt non : je baisse volontairement le volume de mon MP3 pour les entendre.


Ils répètent que ça fait chier pour une fois qu'on va dans le sud et bah il fait froid. Ou encore que pour une fois qu'on va dans le sud et bah c'est moche en fait, beurk.


Ce qui me fait repenser aux premiers temps où Hugo et moi nous connaissions mal...


Voilà qui date de 2002, l'année du fiasco nippo-corréen.


...je pestais déjà contre ceux qui (Hugo compris) faisaient référence à Saint-Etienne comme étant « dans le sud » alors que moi en réponse, souvent, je leur sortais des « hein ? quoi ? Pardon ? » parce que franchement il suffit de regarder une carte pour voir qu'on est dans le ventre mou quoi.


Et aussi que et bah j'avais un peu peur en partant parce qu'avec mon jambon dans mon sac, j'avais peur qu'il se mette à frire mais là comme il fait froid et bah non. Ou enfin que non mais Machin il abuse, je veux dire, voilà quoi, d'accord je sais ce que c'est que de vivre dans une famille monoparentale, m'enfin faut pas abuser non plus, quoi.


Ensuite je remonte le volume de mon MP3 parce que voilà quoi.


Je pose le pied sur le quais de la gare, le ciel est gris, il commence peut-être même à crachoter. Arrivé le jeudi, je repartirai jeudi prochain et entre temps le circuit habituel, je vois celles et ceux que je n'ai pas vu depuis des mois et je fais imprimer des trucs aux photocopieuses près de la fac (je dois aussi récupérer mon diplôme de licence).
Je termine de retenir mon souffle ; j'ai fait long aujourd'hui.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Menear 147 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine