Première (demie) journée de cours. Trois heures. Mes notes bien préparées, mes feuilles bien organisées de la veille. Je sais pourtant que je ne les lirai pas ou si peu. Je me dis que c'est juste comme un gros oral de fac mais en différent.
Ici, à Mushroom-Hunting, les classes n'ont pas de numéros ou de lettres, pas de 4e2 ou de 3e7. Non, ici, à Mushroom-Hunting, les classes sont organisées d'après des noms de légumes-pas-bons. C'est une drôle de façon de faire mais après tout pourquoi. Moi, j'ai les 3e Haricots, les 3e Fenouil, les 4e Aubergines et les 4e Blettes aux choux de Bruxelles avec de la sauce au poivre périmée par dessus. Moi je ne suis pas là pour juger, je constate, c'est tout.
La première heure se passe très bien. Il s'agit des 4e Aubergines. Une classe calme, sympa, qui participe, qui comprend, qui ne me demande pas sans arrêt « m'sieur c'était quoi la phrase d'avant ? ». Sympa, vraiment. On fait tout ce que j'avais prévu.
Deuxième classe, les 3e Haricots : difficile à dire, ils ne sont que six. Z'étaient pas au courant que Mme Mai était remplacée qu'ils disent. Ça sert à rien de faire ce que j'avais prévu, du coup. Petite heure histoire de me tenir au courant de leur niveau, où ils en sont, tout ça. Le dialogue est plutôt cool même s'ils ne sont pas super à l'aise, comme ça, en petit comité. Ils parlent à voix très basse, limite pour que je ne puisse pas les entendre. Finalement j'embraye sur ce que j'avais prévu à la base, je l'adapte juste pour en faire un petit exercice d'oral un peu décontracté.
La troisième classe, c'est la pire. C'est les 4e Blettes aux choux de Bruxelles avec de la sauce au poivre périmée par dessus. Comme quoi, le hasard des noms de classe... François Berléand me présente en début de cours, en me disant de ne pas hésiter à lui en envoyer (des élèves) s'il le faut. Le ton est donné.
Hier, cette classe, on me l'a décrite comme ayant un « électroencéphalogramme plat ». Dans ma tête, je me suis dit qu'ils devaient être neurasthéniques. En fait non, ils sont juste complètement cons. La neurasthénie me manque déjà. Il sont lents, bruyants, n'ont pas leurs bouquins, ce qui fait que je dois occulter toute une partie de mon cours, si ce n'est l'intégralité de ce que j'avais préparé. Obligé de gueuler toutes les cinq minutes, et je n'aime pas ma voix quand je gueule : l'impression qu'elle ressemble à celle de mon frère.
Certains sortent du lot : d'au-ten-thi-ques-pe-tits-cons. Le problème c'est que ceux qui sortent du lot, ils représentent bien la moitié de la classe. Ils sont le lot.
Ils ne comprennent rien, il faut tout leur dire. Alors que les 4e Aubergines sont limite prêts à commencer une prise de notes légères ou partielle, eux ne sont pas capables d'écrire une phrase sans que je répète dix fois, sans que j'écrive cinq mots au tableau. Bref, des chiants. Et des chiants qui ne ne peuvent même pas se permettre de l'être vis à vis du niveau général de la classe. Du coup : aucun scrupule à leur coller un devoir pour demain, même si déjà prévu de longue date.
Ce qui me saoule, c'est que cette demie-journée c'est plutôt bien passée, mais je reste sur cette dernière impression avec l'arrière-goût des blettes par dessus. Du coup : ça me force à faire le prof chiant, jamais sympa, qui va coller des exos de grammaire complètement cons pour avoir la paix alors qu'avec les 4e Aubergines je pourrais faire des trucs plus sympas. Et devenir le prof que j'ai toujours détesté étant élève (même si j'étais moi-même un p'tit con), ça ne m'enthousiasme pas du tout. Enfin, gardons déjà le positif. Pour un appelé de dernière minute qui n'a eu qu'une demie-soirée pour préparer sa rentrée, je crois que je ne m'en suis pas si mal tiré que ça.
Et puis maintenant, c'est comme ça que je m'appelle, « M'sieur ». Bizarre : j'étais à leur place il y a quelques années seulement...
Bonus : Viens d'avoir Elise au téléphone, lui raconte ma journée, me plains un peu au sujet de mes 4e Blettes aux choux de Bruxelles avec de la sauce au poivre périmée par dessus. Je lui dis quelque chose comme « ouais, ils font chier, ils parlent tout le temps, ils écoutent rien, ils dérangent les autres, je dois leur dire de se taire en permanence ou des trucs du genre arrêtez vos bavardages et tout, comment ça craint grave ! ». Elle, elle me répond :
« Waaw, comment t'es gonflé, nous l'année dernière encore, on faisait que parler dans tous les cours et on faisait chier tout le monde, oh l'autre eh ! »
(Note : non, non, je vous rassure, Elise et moi ne parlons pas réellement comme ça dans la vraie vie...)