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Ochracé

Publié le 14 février 2008 par Menear
Ma dernière nouvelle mise en ligne sur le blog, c'était en août. Six mois plus tard, c'est un troisième texte "papier" qui vient garnir le sommaire de cette catégorie de nouvelles, disons, traditionnelles. Ce qui l'est moins (traditionnelle), c'est la genèse du projet qui a donné naissance à Ochracé ; à l'origine, cette nouvelle est une sorte de commande. Il y a un mois, en effet, Elise m'appelle pour me raconter l'un de ses rêves : j'ai pensé à toi tout de suite en me réveillant, elle me dit, ce qui pourrait être flatteur, mais en réalité la trame du rêve étant relativement tordue voire malsaine, c'est un peu plus délicat. Qu'importe, elle me le raconte et puis me demande de le mettre en mots. Le projet me tente dès le début, parce que je sais d'avance comment je vais m'y prendre. J'ai déjà un univers tout prêt dans ma tête, il ne me reste plus qu'à intégrer la trame en question, que je respecte quasi religieusement. Cet univers, c'est aussi celui de Sablier, celui de Décompte. J'en reparlerai sans doute.
L'écriture glisse toute seule. Contrairement à Scapulaire, je ne rencontre pas ou peu de difficulté. En quelques semaines, c'est bouclé, j'en suis content, satisfait. A en juger par les premiers échos que j'ai reçu d'Elise, elle est également satisfaite, sa commande est bien accueillie. Je me dis que je vais monter une entreprise d'écriveur de rêves, les gens viendraient ou m'appelleraient ou m'écriraient la trame général de leurs rêves, et moi je les mettrai en forme. Je ferai des nouvelles, des recueils, des romans, des sagas familiales. Des rêves. Agréable comme idée.
En attendant, et avec l'accord de ma première cliente, je propose cette première tentative que je mets en ligne à l'instant même. Je précise au passage que le fichier mis à disposition est un fichier PDF, parce que la mise en page (bricolée) de la nouvelle nécessite une forme fixe. Commentaires bienvenus, of course.
La terre bleue compresse le temps, l'impression qu'on en a. Les heures, broyées en minutes. Les instants, gonflés jusqu'à l'absurde, sont des semaines entières.
Les aiguilles de ma montre sous mon poids dérapent. Mes yeux plissés laissent glisser la poussière. Signe que la terre en moi se laisse couler, elle aussi, que ses effets fonctionnent. En moi elle gagne centres nerveux, sinus, siège de la parole. Mes pensées s'altèrent, fixées pourtant sur ces grains sales. Ce n'est pas la première fois que je prends de la terre bleue. Mais pour la première fois dans ces quantités.
On se sert ensemble sur la banquette arrière de la voiture. Quatre corps les uns à la suite des autres, contre les autres. Les roues vrombissent sur l'asphalte écaillé, les hauts-plateaux défilent contre les vitres, sur les côtés. Les lignes rouges tracées le long de la route fusent, avalées-courbées entre les deux pare-chocs. Je ne connais pas le conducteur. Peut-être que la terre en lui se diffuse également, c'est possible, ça ne me surprendrait pas.
La terre bleue compresse le temps, l'impression qu'on en a. On m'a tendu le sachet et sept cristaux ridicules ont roulé contre ma paume. Et du creux de ma paume à l'espace confiné entre mes gencives et l'intérieur de ma lèvre inférieure. Je les y ai placés un par un. Les picotements salés et le goût du sang un peu qui se mêle à mon haleine. Les effets sont dilués dans ma bouche. Ça coule un peu entre mes dents, mais l'hémorragie ne dure pas. Les boucles de la route sur les hauts-plateaux s'enchaînent, s'enroulent entre elles. En une minute peut-être les kilomètres sont broyés. La voiture s'arrête, les portes s'ouvrent. Le paysage souffreteux ; des maisons terreuses sur le haut des plateaux.

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Ajout du 27 juillet 2008
Ci-dessous copie des deux lettres reçues de l'Espace Pandora et Fabienne Swiatly en réponse à ma participation au concours Quelles nouvelles ?.

Le jury du concours Quelles nouvelles ? s'est réuni suite à un long examen des nouvelles reçues : 182 cette année. De nombreux textes ont fait l'objet de vives discussions. Nous avons le regret de vous informer que votre nouvelle n'a pas été retenue pour faire partie de la future anthologie. Cependant, nous tenons à souligner le fait que votre nouvelle a suscité les encouragements du jury.

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En tant qu'écrivain, je fais partie du jury Quelles nouvelles ? de l'Espace Pandora, je voulais personnellement vous faire part que votre texte Ochracé n'a pas été retenu pour le recueil de nouvelles 2008.
Mais par cette lettre, il faut que vous sachiez qu'il y a eu une belle discussion autour de ce texte. Et que l'ayant défendu, je me permets de vous faire quelques remarques.
Certaines audaces d'écriture m'ont vraiment séduite alors qu'elles pourraient apparaître comme de simples trucs. Ainsi vos traits continus qui mènent à la ligne, définissent un espace-temps narratif intéressant.
D'ailleurs votre texte explore bien cet espace-temps de la conscience altérée. Pas facile. Cela m'a fait penser à certains textes de Jean-Michel Maulpoix ou encore Le livre des ciels de Leslie Kaplan sans que je puisse dire exactement pourquoi.
Vous parvenez à décrire la fière qu'elle soit émotionnelle ou chimique.
On y est. On vous croit.
Par contre, l'histoire en sa deuxième partie - l'arrivée du "père" nous a semblé moins convaincante et mal amenée. Soudain, la tension se dilate. L'histoire se décentre mollement (même s'il y a violence). Dommage.
L'histoire de la seringue n'est pas très crédible. Le narrateur se démultiplie et quelque chose ne fonctionne plus aussi bien. La nouvelle devient artificielle.
Et la question qui me vient est : la nouvelle est-elle une forme littéraire qui vous est familière ?
Et peut-être qu'en conservant une histoire racontée de la femme et uniquement de la femme, le texte aurait tenu jusqu'au bout. Peut-être.
Mon propos est très direct, mais si nous n'avions pas été séduits par une partie du texte, cette lettre ne se justifierait pas.
Et vous dire aussi, que nous serions très heureux que vous participiez au concours 2009 en tenant compte ou pas (mais alors il faudra mieux affirmer ce qui semble m'avoir échappé ici) de mes remarques.
En espérant que vous comprendrez que cette lettre est un encouragement.
Avec mes salutations les plus cordiales


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