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D #5 ~ Gare en mouvement

Publié le 11 janvier 2008 par Menear
Texte-exercice qui poursuit la série des descriptions, écrit le 17 novembre dernier et laissé reposer jusqu'à cette semaine pour réécriture complète.
Je me rappelle avoir poussé la porte et compris en un regard qu'il avait plu pendant que j'étais à l'intérieur. A ce moment là, le ciel est sec mais je sais qu'il a plu. Le béton sous mes pieds : mate comme de la craie. Des flaques qui creusent les trottoirs sablonneux et l'eau contre le bord qui s'y racle.
Les verrières de la gare d'en face brillent de cet air où tout glisse, se fige. L'armature en métal, ces pylônes métalliques qui s'accrochent au sol, on dirait qu'elle fuit dans les reflets qu'elle décoche. La foule, tout autour, elle s'en fout ; ils ont des drapeaux à la main. Sur le parvis de la gare, sur les pavés tout neuf, à piétiner des slogans dont j'entends les échos. Vaguement. Lentement. Imperceptibles. Leurs mouvements fragmentés, ils remontent le long des rails. Ils rasent les armatures, ces poteaux électriques sans fils ni courant. Les verrières grésillent, par derrière ; l'eau qui continue de s'y écouler.
Bientôt la foule s'élance. Ils piétinent sur place. Peut-être que c'est l'heure. Ils se collent les uns aux autres. Des parapluies qui se ferment et se plient. Ils s'espacent, se rassemblent à nouveau. Autour, les passants passent sans y prêter attention ou bien ils ne passent pas et s'arrêtent avant de repartir ; c'est exactement la même chose. Juste le temps pour un tram, les corps et les visages à l'intérieur se pressent contre les vitres, de séparer les jambes et les bustes qui s'écartent.
Au moment où la foule se met en marche, je remarque un type qui trace sa voie en sens inverse, qui fend la foule. Quelques mètres devant lui, un autre, le même : il a les mains dans les poches. Il traverse les drapeaux et les sigles, sans manteau sur le dos mais un gant noir à la main droite. Autour d'eux la foule se referme.
Quelques gouttes à nouveau : ça résonne contre les verrières, ça glisse contre les pylônes.
Le bruit est trop fort et bientôt les deux silhouettes, je ne les verrais plus. Le second suit le premier. Vraisemblablement. Peut-être parce que sa nuque relevée, son regard ne dévie pas. Devant, je ne vois que le gant noir se détacher de la foule, traverser les corps qu'il frôle. Bientôt il s'en sera extirpé et l'autre : toujours pris par le mouvement général. L'impression qu'il peine à se frayer une piste. Les mains dans les poches. Le suiveur et le suivi. Dans l'autre sens.
Bientôt je ne vois plus que les corps anonymes ensemble pris par la foule. Le gant noir disparaît et les mains dans les poches, derrière, aussi. Les parapluies se rouvrent. La pluie sur les verrières, ce léger frémissement. Les pylônes par dessus : immobiles. Les flaques, creusées dans le sable et la terre des trottoirs : ça ondule.

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