Magazine Culture

C'est pas moi qui raconte cette histoire

Publié le 07 janvier 2008 par Menear
Quelque chose comme un « auteur culte », peut-être, même si ça ne veut pas dire grand chose. Spanbauer, simplement : le type qui m'a fait dépasser un petit quelque chose dans ma conception de la fiction et de la littérature (soit dit en passant : « Coup de tête » lui doit sans doute beaucoup). Et tant pis si ça sonne bête. Le premier livre de lui que j'ai lu, je m'en souviens bien, c'était en terminale, et c'était L'homme qui tomba amoureux de la lune. Assez peu de souvenirs de l'histoire en elle-même, ni des personnages d'ailleurs, mais juste : le souvenir d'une grosse impression. Pas autant qu'en découvrant Dans la ville des chasseurs solitaires, son chef d'oeuvre, six mois plus tard, mais quand même. De quoi, au moins, déclencher l'envie de citer l'incipit ici-même, lors de cette première relecture. Parce qu'il te rentre dans le lard de façon impressionnante, cet incipit, et tant pis, au fond, si tu piges que dalle au début. Deux versions : la VO et la VF, tirée de l'édition 10/18.

If you're the devil, then it's not me telling this story. Not me being Out-In-The-Shed. That's the name she gave me not even knowing. She being Ida Richilieu, and later, after what happened up on Devil's Pass, they called her Peg-Leg Ida.
Hey-You and Come-Over-Here-Boy were also what I thought were my names. Fisrt ten years or so, I thought I was who thoutybo words were saying. Tybo being 'white man' in my language. My language being some words I still can remember.
My mother was a Bannock and she worked for Ida, cleaning, and whenever a man took a fancy for a breed. That's how I came about – or so I thought. My mother called me Duivichi-un-Dua which means something, which means I was somebody to have a name like that – not like Out-In-The-Shed.
Took me a long time to find out what my indian name means. One of the reasons why is because my name's not Bannock but Shoshone, so none of the Bannock could ever tell me when I asked. Always thought my mother was Bannock. Guess she was Shoshone. Why else would she give me a Shoshone name ?
My mother died when I was a kid just ten or eleven years old. Murdered by a man named Billy Blizzard. One of the things I remembered about my mother is that she gave me my name and that I was never to answer to my name because it might be the devil asking. If somebody called me by my name, I had to say that it wasn't me first off. Another thing I remember about my mother is just before I sleep and then she's only a smell and a feeling I don't have any words for.
After my mother died, I took her place at Ida's, cleaning and doing the odd jobs. Some nights, out in the shed, when the moon got too bright and the breath coming fast in and out of me, I'd tiptoe up the black steps to the second story of Ida's Place and look in Ida's window. Ida richilieu would be sitting in her room in her circle of light, the kerosene lamp making her room look the rose color. If it was winter, Ida'd be all bundled up in her quilts. If it was summer, Ida'd hardly have anything on. Winter or summer, though, you could always find Ida in her circle of light at night, when the work was done, writing in her diaries about life and about being mayor.

Tom Spanbauer, The Man who Fell in Love with the Moon, Harper Perennial, P. 3-4.
______________

Si vous êtes le diable, c'est pas moi qui raconte cette histoire. Pas moi qui suis Dans-la-cabane. C'est le nom qu'elle m'a donné sans même savoir. Elle c'est-à-dire Ida Richilieu, et plus tard, après ce qui est arrivé là-haut dans la Passe du Diable, on l'appelait Ida-Jambes-de-bois.
Hé-toi et Viens-par-ici-mon-gars, je me figurais que c'était aussi mes noms. Les premières dix années ou à peu près, j'ai cru être celui que désignaient ces mots tybo. Tybo, c'est-à-dire « homme blanc », dans ma langue. Ma langue, c'est-à-dire quelques mots que j'arrive encore à me rappeler.
Ma mère était une Bannock, elle travaillait pour Ida : le ménage, et quand un homme se sentait l'envie de tâter de la métisse. C'est comme ça que je suis venu au monde – ou le je croyais. Ma mère m'appelait Duivichi-un-Dua, ce qui veut dire quelque chose, ce qui veut dire que j'étais quelqu'un à avoir un nom comme ça – et pas comme Dans-la-cabane.
Il m'a fallu longtemps pour découvrir ce que signifie mon nom indien. Une des raisons, c'est parce que ce n'est pas un nom bannock, mais un nom shoshone, alors aucun Bannock a jamais pu m'expliquer quand je posais la question. Toujours cru que ma mère était une Bannock. Je suppose que c'était une Shoshone. Sinon, pourquoi elle m'aurait donné un nom shoshone ?
Ma mère est morte quand j'étais qu'un gamin de dix ou onze ans. Tuée par un nommé Bily Blizzard. Une des choses dont je me souviens au sujet de ma mère est qu'elle m'a donné mon nom et que je ne devais jamais répondre quand j'entendais mon nom, parce que c'était peut-être le diable qui appelait. Si quelqu'un m'appelait par mon nom, je devais tout de suite répondre que c'était pas moi. Une autre chose dont je me souviens, à propos de ma mère, c'est juste avant que je m'endorme, et alors, elle n'est qu'un parfum et un sentiment pour lesquels j'ai pas de mots.
Après la mort de ma mère, je l'ai remplacée chez Ida, à faire le ménage et les petites corvées. Certaines nuits, dans la cabane, quand la lune devenait trop brillante et les choses trop tranquilles, quand je n'entendais plus que les battements de mon coeur et ma respiration trop haletante, je grimpais sur la pointe des pieds l'escalier de derrière Chez Ida jusqu'au second étage, et j'observais Ida par la fenêtre. Ida était assise dans son cercle de lumière, la lampe à pétrole donnait à sa chambre une teinte rose. Si c'était l'hiver, Ida était emmitouflée dans sa courtepointe. Si c'était l'été, elle n'avait presque rien sur le dos. Mais hiver comme été, on trouvait toujours Ida dans son cercle de lumière, tard le soir, après le travail ; elle écrivait son journal, où elle parlait de la vie et du fait d'être maire.

Tom Spanbauer, L'homme qui tomba amoureux de la lune, 10/18, trad : Robert Louit, P. 13-14.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Menear 147 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine