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Sur le fil

Publié le 28 novembre 2007 par Menear
Semaine bémol, je le crains : « Coup de tête » stagne. On n'est pas en panne, c'est pas ça, c'est différent. Cela dit, la partie concernée, c'est toujours la même qu'à l'époque. C'est la deuxième (sur cinq en tout). Sur mon plan (la sainte structure), elle est juste notée « Gare », coincée entre « Ville I » et « Montagne ». Depuis samedi, pas un jour je n'ai respecté le planning. Problème, parce que maintenant le rythme est brisé. Ce sera dur dur de le (de me) remettre sur patte. Chaque jour, c'est un problème différent qui survient. Hier, c'était une pseudo migraine. Lundi, c'était autre chose. Aujourd'hui, c'est Open Office qui me fait des misères (de toute évidence, il n'arrive pas à supporter un paragraphe unique qui s'étend sur dix pages : ça le fait laguer à mort ; impossible de voir s'afficher une phrase alors même que je viens de finir de la taper par exemple !) Du coup, on est privé de clavier. Le cap à franchir est habituel, cela dit : c'est le cap des cent pages. Et comme la partie est difficile, ça coince, ça n'arrange rien. Probablement parce que je n'ai pas assez préparé la chose : mes repérages étaient rapides, c'était fait en passant, deux ou trois photos comme ça, rien de plus. Mais dans la tête du personnage, je pense, y a quoi ? Voilà le coeur du problème.
Parce que « Coup de tête » est un récit entièrement focalisé sur le personnage principal (à la première personne donc) et qu'il se déroule au présent. Du coup : ça oblige à constamment tout savoir tout le temps tout le temps tout le temps. Ce qui se passe dans sa tête à tel moment, à tel autre, à tel autre. Etc. Et pour ça, je le déplore, je ne suis pas préparé. Mon plan, affiché au mur, juste en face de moi, sous mon nez en permanence, ne m'aide pas. Je dois affiner la structure, je dois la pousser au bout du bout du bout. Ce qui voudrait dire, en restant évasif, faire un plan en deux colonnes : d'un côté les évènements strictement organisés, de l'autre les pensées ou sensations ou ressentis ou états d'âmes du narrateur. Pour savoir constamment ce qui se passe dans sa tête. A n'importe quel moment. Et ne rien laisser au hasard. Parce qu'après tout c'est mon but : le personnage, tout pour lui, et le reste n'a aucune espèce d'importance.
Plan à refaire, donc, à repenser, même, et toutes ces petites choses auxquelles je n'avais pas pensé avant. Un an et demi après avoir commencé, se rendre compte qu'on n'a pas assez repéré, qu'on n'a pas assez préparé, c'est un peu agaçant. Et l'impression ces derniers jours de continuer à rédiger pour « faire du chiffre » : écrire pour atteindre à la fin de la journée le nombre de pages voulu (neuf, en l'occurrence). Mais ça ne marche pas comme ça. Enfin si, mais pas à ce point. A revoir, donc.
Le personnage, disais-je. Et deux grosses difficultés qui apparaissent. La première, c'est l'équilibre perpétuellement remis en cause que pourtant il me faut assurer. Équilibre du langage : surtout ne pas tomber dans le piège de l'expérimentation littéraire du « je fais style je suis un ado à problème mais en fait je te fais des tournures de phrases qui déchirent parce que quand même » (si j'ai moyennement aimé Décor Ciment, il y a une raison) mais ne pas rester perpétuellement incompréhensible et borné et,pire, non pertinent, pour autant. Un équilibre à ménager, un mince, mince équilibre.
La deuxième difficulté tient dans le choix du temps utilisé, à savoir le présent, qui oblige perpétuellement à expliquer chaque faits et gestes pour ne pas rester dans la contemplation mécanique pure. Difficile, quand on n'arrive pas soi-même à comprendre ce qui nous pousse à agir de telle ou telle façon de pouvoir l'exprimer clairement dans la tête d'un autre qui, de plus, réagit à ses propres pulsions, peurs et autres déterminismes. En bref, créer un personnage à partir de rien (ça ne marche pas comme ça, certes, mais le résultat est le même) et ensuite lui faire traverser la réalité du monde cohérent : ce n'est pas facile, surtout quand le personnage remplit tout le texte de sa présence, dans l'instant, sans recul ou si peu. A ce niveau, écrire « Cette vie » était une partie de plaisir, puisqu'au fond, ce n'était « que du texte » et que la névrose structurante du narrateur était facilement contrôlable. Bref. Ça fait beaucoup de jongleries, beaucoup de numéros d'équilibristes, du coup, à gérer en même temps. Mon personnage sur le fil en permanence, et moi, au sol, qui doit le rattraper à chaque fois qu'il tombe. Il tombe et je le rattrape souvent.
« Coup de tête », un projet censé s'accomplir brièvement, un roman censé rester frais, un roman que je devais accomplir dans la foulée du premier jet, dixit moi-même il y a un an et demi. A présent, je réécris ce même premier jet pour la troisième fois et j'ai toujours l'impression que rien ne marche. Que la masse de travail à fournir par la suite va encore être énorme. Que rien n'est encore fixé. Que mon personnage ondule mais n'existe pas. Sur son fil, toujours, mais que c'est dur de le faire avancer. La bonne nouvelle, dans l'histoire, c'est que le remède, je le connais : affiner, affiner et affiner encore ce plan général trop général qui, finalement, ne m'aide que trop peu. Réfléchir, connaître, être sûr, fixer. Rassembler les notes qui s'éparpillent. Faire des schémas, faire des graphiques (eh oui). Le faire vivre, quoi, lui, ce personnage et même plus encore : qu'il existe, bordel de merde. La suite ne sera que répétition des mêmes névroses perfectionnistes : refaire, refaire et refaire encore jusqu'à ce que ce soit bon. Tout simplement. Du coup, la célèbre citation de Beckett est d'usage, voilà qui terminera joliment le billet :

Ever tried ? Ever failed ? Try again. Fail again. Fail better.
Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.


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