Magazine Culture

Emmanuelle Pagano, Les adolescents troglodytes

Publié le 12 novembre 2007 par Menear
Emmanuelle Pagano, je parcourais son blog sans avoir jamais rien lu d'elle, et je revenais sur son blog, je commentais parfois, je m'abonnais à son flux, tout ça, toujours sans avoir rien lu d'elle, pas de livre, j'entends, alors ces jours-ci j'ai corrigé mon erreur et j'ai (enfin) lu Les adolescents troglodytes (P.O.L, 2007), roman emprunté au préalable dans la bibliothèque familiale (maternelle), et lu dans la foulée de mon retour (ou quelque chose comme ça ; oui, je sais, la phrase est longue). Les adolescents troglodytes, mine de rien, ce n'est pas un livre évident à résumer, alors comme je ne suis pas un résumeur né et que j'aime les raccourcis faciles, je me permets d'emprunter au site web d'Emmanuelle Pagano un bout de ce résumé-tout-fait qui s'y trouve. Le voilà.
Emmanuelle Pagano, Les adolescents troglodytes

Adèle est conductrice de navette scolaire sur un plateau très isolé, en altitude. Elle transporte une dizaine d’enfants et d’adolescents, essentiellement des fratries, dont les histoires se mêlent à la sienne. Pendant les trajets, dans les intempéries, ses souvenirs, ses pensées, glissent sur les routes écartées, pendant que grands et petits parlent, se disputent, se taisent. Elle se souvient de son corps mal ajusté, de sa propre adolescence douloureuse. Adèle est une fille née dans un corps de garçon. Ni “ses grands”, ni “ses petits” n’ont connaissance de son passé. Elle est néee au milieu du plateau, à la la “ferme du fond”, aujourd’hui disparue sous une retenue d’eau. Elle y a vécu avec ses parents et son petit frère, Axel, puis elle est partie, avant de revenir au pays dans son nouveau corps : personne ne l’a reconnue.

Le narrateur des Adolescents troglodytes est donc une narratrice, ayant elle-même transité par un corps de garçon avant de devenir femme, après opération. Et cette narratrice, durant les deux cent et quelques pages que composent le roman, est omniprésente : on est dans sa tête, on est dans son corps, on est avec elle dans cette navette qu'elle conduit chaque jour, du plateau aux écoles, des écoles au plateau. Ses pensées sont le texte qui petit à petit s'articule, page à page, et découvre en silence (mais quel doux et beau silence) cette histoire qui est la sienne et dont, finalement, elle ne dit que si peu.
Des successions de moments, d'instants, voilà ce dont il s'agit. Des souvenirs, également, des réminiscences : le passé d'Adèle lorsqu'elle n'était pas encore Adèle, son présent, ses allers et retours, ces petits et ces grands et ces ados qu'elle emmène et qu'elle ramène chaque jour, qu'elle côtoie, finalement. Et ces petits bouts de pensée, attrapés au vol, le temps d'un paragraphe à peine, qui imposent une lecture lente : parce que le livre et court et que l'envie prend de ralentir, d'écourter, pour ne pas en une seule journée déjà arriver au bout. J'ai rarement ce genre de sentiment devant un livre ; avec Adèle, c'est le cas. Petits bouts de pensée, le temps d'un paragraphe, disais-je, comme celui-là, entre deux pages...

Je me pensais au féminin, en faisant les accords, depuis un bout de temps déjà. Mais comme j'étais bien la seule, je me sentais à la fois solitaire et désaccordée.

Emmanuelle Pagano, Les adolescents troglodytes, P.O.L, P. 76-77
Les accords, justement, tiennent une place centrale dans le roman : cet art de manier le « il » et le « elle » et d'ensemble les raccorder, les encorder, parce qu'ensemble uniquement ils parviennent à bâtir les fondements de son identité : Adèle, dont le premier prénom, sauf étourderie de lecteur, n'est jamais dévoilé. Et les jeunes également, clé du roman et mystère tout de même, eux qui avec leurs regards si neufs voient ce gars du pays qu'ils ne reconnaissent pas. De nombreux passages, globalement courts, s'enchaînent : Adèle, la silencieuse, qui en silence conduit les ados et les plus petits sans dire un mot mais qui observe, les tics et les manies, les capuches et les tatouages, les liens entre les personnages, les non dits, les mauvaises humeurs, les amours naissantes. « Ils sont mon bruit, ma vie, mon mensonge », pense-t-elle à la page 146 lorsque, justement, ils ne sont pas là derrière elle, et que ça lui manque.
Emmanuelle Pagano, Les adolescents troglodytes

Le beau temps ravitaille les conversations depuis quelques jours. C'est bon pour le tourisme d'hiver, ski de fond, skating, télémark, ski jorring, et sous le soleil le plateau est immense, comme artificiellement immense. C'est la belle, la grande stérilité de l'hiver. Les parois rocheuses en paraissent encore plus verticales et pittoresques. Le plateau pourtant, le plateau pour moi, n'est jamais aussi sérieusement touchant que sous la tourmente ou dans le brouillard. Le plateau, nos routes, nos champs, nos forêts et nos lacs, nos volcans. Nos pas souillés goutte à goutte dans les creux. Nos pas empêchés par le vent. Les noeuds des grillages accrochent les pertes des brouillards au bord des estives. Je préfère qu'elles soient bues par la tourmente que sucées aussi sec par les beaux jours.

Les adolescents troglodytes, ibid, P.129-130
Lors de ces trajets, d'autres pensées divaguent, qu'il s'agisse de contemplation ou de souvenirs, et tout est bon pour les laisser s'écouler sur les plateaux que parcoure la navette, sur la route accidentée et sur le paysage qui le borde. Les descriptions (ou devrais-je dire plutôt impressions) qui s'en échappent sont souvent les plus anecdotiques et pourtant les plus douces, les plus belles. Des descriptions qui, mises bout à bout, complètent en silence cette ébauche de personnage qui durant tout le roman pourtant se dessine. Adèle est autant ce qu'elle pense, ce qu'elle ressent, ce qu'elle rappelle à sa mémoire que ce qu'elle voit. Et que voit-elle ?

Le jour est bleu à s'ouvrir les plis du ciel. Il fait si beau et si froid que l'air se gerce par endroits, nous paraît impénétrable. Il va bien falloir passer dedans, pourtant.

Les adolescents troglodytes, ibid, P.166
Les adolescents troglodytes, roman poétique d'Emmanuelle Pagano, sorti au printemps, roman à lire, roman difficile à chroniquer - peut-être parce qu'on ne souhaite que l'effleurer - et puis pour ceux qui l'auraient déjà lu, des sites à voir, en complément : Les corps empêchés, site de l'autrice, et pour les autres qui déjà seraient intéressés, d'autres extraits à découvrir ici et .
[Article également disponible sur Culturopoing]

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Menear 147 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine