Il y a dans le répertoire d'un type comme Bowie beaucoup de chansons qui marquent (et beaucoup de chansons qui restent, mais ce ne sont pas toujours les mêmes) : le mythique The man who sold the world en fait partie. Chanson sortie en 1971 sur l'album éponyme et sombre de Bowie (et sur cet album-là se trouve un autre bijoux, All the madmen, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici-même), elle passe à l'époque relativement inaperçue (en même temps que l'album d'ailleurs, qui ne décolle pas vraiment commercialement, on se réfère à cet article pour plus de précisions). Et puis les années, les décennies passent, et cette chanson on l'oublie un peu, on, le « grand public », on va dire, et puis voilà qu'au bout d'un moment cette chanson est ressortie des cartons. De nombreux artistes, venus d'horizons différents, la reprennent, et le maître lui-même daigne la repêcher de son répertoire oublié pour ses nouvelles sorties en live. La chanson renaît, enfin on l'apprécie à sa juste valeur. Et aujourd'hui, elle figure toujours dans les tournées récentes de Bowie (Reality tour), l'air est universellement connu, la chanson est entrée dans la panthéon des chansons pop, de nombreux chanteurs amateurs se la réapproprient pour trois ou quatre minutes de gloire youtube. Une très bonne chanson (pourtant pas la meilleure de l'album, mais ça ne veut rien dire) qui, comme toute très bonne chanson pop, s'est déclinée à travers les années, a évolué en même temps que ces artistes qui, tour à tour, l'ont remaniée à leur sauce.
La première version, la version album, est déjà excellente. Tout y est : la part sombre de Bowie notamment explorée à travers les arrangements au synthé que découvre Tony Visconti, le traitement de la voix qui déforme le chant (procédé que Bowie reprendra tout au long de sa carrière, de Station to station à Earthling en passant par Scary Monsters) : autant de manipulations du son qui permettent de creuser cette atmosphère glaçante qui émane de la chanson, et de l'album entier. Et « tout y est », c'est vrai, à commencer par ce riff de guitare saillant de Mick Ronson qui va souder les différents éléments de la chanson, qui va lui donner son identité, également.
L'autre grande version de The man who sold the world, c'est bien évidemment Nirvana qui la produit pour son célèbre MTV Unplugged. La plus marquante ne veut pas dire la meilleure (si tant est que la « meilleure », ça veuille également dire quelque chose), qu'on soit bien clair. La voix de Cobain et, rétrospectivement, la proximité de son suicide à venir, confère à cette version une dimension toute autre : c'est un Man who sold the world grinçant, quasiment rouillé, écartelé, qui, bien que très proche de la version d'origine, s'écarte radicalement de ce conte noir de science-fiction pour plonger dans une réalité très concrète. C'est bien pour cette raison avant tout que la reprise de Nirvana est importante : elle va actualiser cette chanson un peu marginalle, peut-être un peu datée et, surtout, résolument fictionnelle.