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Variations sur l'homme qui vendit le monde

Publié le 16 octobre 2007 par Menear
Il y a dans le répertoire d'un type comme Bowie beaucoup de chansons qui marquent (et beaucoup de chansons qui restent, mais ce ne sont pas toujours les mêmes) : le mythique The man who sold the world en fait partie. Chanson sortie en 1971 sur l'album éponyme et sombre de Bowie (et sur cet album-là se trouve un autre bijoux, All the madmen, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici-même), elle passe à l'époque relativement inaperçue (en même temps que l'album d'ailleurs, qui ne décolle pas vraiment commercialement, on se réfère à cet article pour plus de précisions). Et puis les années, les décennies passent, et cette chanson on l'oublie un peu, on, le « grand public », on va dire, et puis voilà qu'au bout d'un moment cette chanson est ressortie des cartons. De nombreux artistes, venus d'horizons différents, la reprennent, et le maître lui-même daigne la repêcher de son répertoire oublié pour ses nouvelles sorties en live. La chanson renaît, enfin on l'apprécie à sa juste valeur. Et aujourd'hui, elle figure toujours dans les tournées récentes de Bowie (Reality tour), l'air est universellement connu, la chanson est entrée dans la panthéon des chansons pop, de nombreux chanteurs amateurs se la réapproprient pour trois ou quatre minutes de gloire youtube. Une très bonne chanson (pourtant pas la meilleure de l'album, mais ça ne veut rien dire) qui, comme toute très bonne chanson pop, s'est déclinée à travers les années, a évolué en même temps que ces artistes qui, tour à tour, l'ont remaniée à leur sauce.

La première version, la version album, est déjà excellente. Tout y est : la part sombre de Bowie notamment explorée à travers les arrangements au synthé que découvre Tony Visconti, le traitement de la voix qui déforme le chant (procédé que Bowie reprendra tout au long de sa carrière, de Station to station à Earthling en passant par Scary Monsters) : autant de manipulations du son qui permettent de creuser cette atmosphère glaçante qui émane de la chanson, et de l'album entier. Et « tout y est », c'est vrai, à commencer par ce riff de guitare saillant de Mick Ronson qui va souder les différents éléments de la chanson, qui va lui donner son identité, également.
L'autre grande version de The man who sold the world, c'est bien évidemment Nirvana qui la produit pour son célèbre MTV Unplugged. La plus marquante ne veut pas dire la meilleure (si tant est que la « meilleure », ça veuille également dire quelque chose), qu'on soit bien clair. La voix de Cobain et, rétrospectivement, la proximité de son suicide à venir, confère à cette version une dimension toute autre : c'est un Man who sold the world grinçant, quasiment rouillé, écartelé, qui, bien que très proche de la version d'origine, s'écarte radicalement de ce conte noir de science-fiction pour plonger dans une réalité très concrète. C'est bien pour cette raison avant tout que la reprise de Nirvana est importante : elle va actualiser cette chanson un peu marginalle, peut-être un peu datée et, surtout, résolument fictionnelle.

Loin d'être ma préférée, cette version a tout de même eu le mérite de remettre au goût du jour une chanson plus ou moins oubliée : ce n'est qu'après cette reprise que Bowie la reprend dans son répertoire pour ses concerts et/ou interprétations télévisées. C'est par ailleurs l'époque où Bowie, renforcé par de jeunes groupes comme Nine Inch Nails ou Nirvana qui le citent en référence, sort la tête de l'eau après quelques années difficiles, et redevient artistiquement pertinent (cela coïncide grosso modo avec l'avènement de Outside, le grand album du Bowie des années quatre-vingt-dix, voire même le grand album de Bowie tout court). S'en suit alors des interprétations décalées qui (sauf lors du Reality tour ou du Live at the Beeb) s'apparentent presque à des émanations atmosphériques, qu'il s'agisse de version acoustique comme pour la première des deux vidéos suivantes ou résolument électronisante comme pour la seconde (et, plus encore, lors du concert anniversaire des cinquante ans de Bowie au Madison Square Garden, pas d'images en revanches pour cette version-ci). Une dimension plus mélancolique se dégage de ces variations : sorte de nostalgie incohérente d'autant de « narrateurs » presque plaintifs. Des interprétations intéressantes ; la version acoustique de 1996 présentée ici est peut-être la plus touchante.

Et dans toutes ces versions précédemment évoquées, les mêmes bases, le même ciment unifie le tout : ce riff de Mick Ronson, souvent reproduit à l'identique, comme une signature unique, une mélodie universelle qui à elle seule symbolise le morceau. A ma connaissance, une seule version travestit le riff originel, et c'est aussi ma version préférée, étrangement. Il s'agit d'une reprise co-produite par Bowie pour Lulu, chanteuse écossaise, en 1974, à grande dominante cabaret et où le saxophone tient une place importante, où la voix se fait presque soul (les esthétiques de Diamond Dogs et Station to Station ne sont pas loins). La chanson devient plus bigarrée, les arrangements sont parfois fantaisistes (ce xylophone que l'on entend dans le fond, quelques notes au piano), et tant pis si le final est un peu long (il manque le mysticisme des coeurs que l'on retrouvait dans la version album ; non pas qu'ils manquent pour la cohérence de la chanson, mais tout simplement pour retenir le refrain d'être trop saoulant) mais quelle drôle de version, au bon sens du terme. Et tant pis si la performance vocale de Lulu, au final, est résolument anecdotique.

Difficile de dire, en revanche, pourquoi The man who sold the world et pas All the madmen, After all et Saviour Machine (les autres très bonnes chansons issues du même album). Difficile de comprendre ce qui fait, au juste, une chanson qui marche, qui parle, qui reste. Et, à l'inverse, une petite pensée pour toutes ces chansons de Bowie restées dans l'ombre, que j'adore et qui ne bénéficie pas de la même « renommée ». Une petite remise au goût du jour s'impose donc : la reprise de Lady Grinning Soul par Arcade Fire c'est pour quand ?
Billet écrit avec la bible de David Buckley sous la main. Je n'ai pas évoqué toutes les versions, bien sûr, il y en aurait trop eu, la page aurait saturé de vidéos youtube, je n'ai mentionné que celles qui, pour moi, sont les plus marquantes. Les autres vidéos disponibles se trouvent ici.

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