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Moi je mange des hamburgers

Publié le 19 septembre 2007 par Menear
Lecture du moment : dialogue surréaliste emprunté au City bigarré de Baricco.

- Salut.
- Salut - , dit Shatzy.
- Qu’est-ce que vous prenez ?
- Deux cheeseburgers et deux jus d’orange.
- Frites ?
- Non merci.
- Avec des frites c’est le même prix.
- Ça ira, merci.
- Cheeseburger, boisson, frites, c’est la formule n°3 - fit la serveuse en désignant une photo derrière elle.
- Jolie photo, mais on n’aime pas les frites.
- Vous pouvez prendre un double cheeseburger, formule n°5, il n’y a pas de frites et c’est le même prix.
- Le même prix que quoi ?
- Qu’un cheeseburger plus jus d’orange.
- Un double cheeseburger coûte le même prix qu’un cheeseburger simple ?
- Oui, si vous prenez la formule n°5.
- Incroyable.
- Formule n° 5 ?
- Non . On veut un seul cheeseburger. Un chacun. Pas de double cheeseburger.
- Comme vous voulez. Mais vous gaspillez votre argent.
- Ça ira , merci.
- Deux cheeseburger et deux jus d’orange, alors.
- Parfait.
- Dessert ?
- Tu veux un gâteau, Gould ?
- Oui.
- Alors ajoutez un gâteau, merci.
- Cette semaine, pour chaque dessert commandé il y a un deuxième offert.
- Splendide.
- Qu’est-ce que vous prenez ?
- Rien, merci.
- Vous « devez » prendre, c’est offert.
- Je n’aime pas les desserts, je n’en veux pas.
- Moi, je « dois » vous le donner.
- Comment ça ?
- C’est l’offre de la semaine.
- J’ai bien compris.
- Donc je « dois » vous le donner.
- Mais qu’est-ce que ça veut dire vous « devez » me le donner , j’en veux pas moi, j’aime pas ça, je ne veux pas devenir grosse comme Tina Turner, je ne veux pas mettre des culottes XXL, qu’est-ce que je dois faire, attendre la semaine prochaine pour manger juste un cheeseburger ?
- Vous n’êtes pas obligée de le manger. Vous prenez le dessert offert et vous ne le mangez pas.
- Et je le prends pour quoi faire ?
- Vous pouvez le jeter.
- LE JETER ? je ne jette rien moi, vous n’avez qu’à le jeter vous-même, tiens faites donc ça , vous le prenez et vous le jetez, okay ?
- Je ne peux pas, je serais renvoyée.
- Bon dieu….
- Ils sont très sévères ici.
- D'accord,okay, on laisse tomber, donnez-moi ce gâteau.
- Du sirop?
- Pas de sirop.
- C'est gratis.
- JE SAIS QUE C'EST GRATIS MAIS J'EN VEUX PAS, OKAY?
- Comme vous voulez.
- Pas de sirop.
- Crème?
- Crème?
- Il y a de la crème si vous voulez.
- Mais puisque je ne veux pas de gâteau comment bon dieu pouvez-vous imaginer que je voudrais DE LE CREME ?
- Je ne sais pas.
- Moi je sais, pas de crème.
- Pour le petit garçon non plus?
- Pour le petit garçon non plus.
- D'accord. Deux cheeseburgers, deux jus d'orange, un gateau sans rien--, ajoute-t-elle, poussant vers Shatzy deux choses enveloppées dans du papier transparent.
- Bon dieu c'est quoi ça?
- Chewing-gum, c'est offert, dedans il y a une boule de sucre, si la boule est rouge vous gagnez vingt chewing-gums de plus, si elle est bleue vous gagnez une formule n°6, gratis. Si la boule est blanche, vous la mangez et ça s'arrête là. De toute façon le règlement est marqué sur le papier.
- Excusez-moi un instant.
- Oui?
- Excusez-moi, hein...
- Oui.
- Mettons une chose absurde, que je le prenne, ce foutu chewing-gum, d'accord ?
- Oui.
- Mettons une chose encore plus absurde, que je le mâche pendant un quart d'heure et après je trouve une boule bleue à l'intérieur.
- Oui.
- Alors il faudrait que je vous l'apporte, toute pleine de salive, et que je la pose là, et vous me donneriez une formule n° 6 bien grasse, bien chaude, bien frite ?
- Gratis.
- Et à votre avis, je mangerais ça quand?
- Tout de suite,je pense.
- Moi ce que je veux c'est un cheeseburger et un jus d'orange, vous pouvez comprendre ça ? Je n'ai aucune idée de ce que je pourrais bien faire de trois bouts de poulets frit plus une moyenne frites plus un épi de maïs beurré plus un moyen Coca. JE N'AI AUCUNE BON DIEU D'IDEE DE CE QUE JE POURRAIS BIEN EN FAIRE.
- En général les gens le mangent.
- Qui ? Qui le mange ? Marlon Brando, Elvis Presley, King Kong ?
- Les gens.
- Les gens ?
- Oui, les gens.
- Écoutez, vous voulez bien me rendre un service ?
- Bien sûr.
- Vous me reprenez ces chewing-gums.
- Je ne peux pas, vraiment.
- Bon dieu...
- Je regrette.
- Vous regrettez.
- Vraiment.
- Donnez-moi ces chewing-gums.
- Ils ne sont pas mal, ils sont à la papaye.
- Papaye ?
- Le fruit exotique.
- Papaye.
- Ça marche bien cette année.
- Okay, okay.
- Ça suffira comme ça ?
- Oui mon chou, ça suffira comme ça.

Alessandro Baricco, City, Folio, P.158-163

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