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Le néant du néon

Publié le 15 août 2007 par Menear
Un passage a particulièrement retenu mon attention dans ma lecture de Zéropolis, essai de Bruce Bégout sur la ville de Las Vegas que j'ai lu la semaine dernière, et cette formule qui sert de titre à ce billet...

Dans les salles à la lumière tamisée des hôtels-casinos, dans ces lieux de nulle part, où plus rien ne se réfère à l'existence extérieure, créant ainsi les conditions véritables de l'utopie, on saisit sur le vif toute l'ambiguïté ontologique de Las Vegas. Tantôt l'illusion dévore la réalité, le leurre jovial et collectif se fait solidité et matière, car la attractions existent bel et bien. C'est là en effet l'une des sources du plaisirs de la fantasy elle-même : elle se déroule pour de vrai. Tantôt la ville se joue tellement de ses propres mirages qu'elle les tient comme à distance d'elle avec une sorte d'ironie tragique ; ces derniers, si perfectionnés et réalistes soient-ils, ne peuvent rivaliser avec sa propre puissance hallucinatoire, c'est alors le prestige même des artifices qui se trouve dénoncé presque malgré lui. Soit l'illusion vampirise la réalité ; soit la réalité, née elle-même de l'illusion, déprécie tout artifice qui n'est plus à la hauteur de sa propre irréalité. Autrement dit, il se pourrait que la vraie chimère que comporte Las Vegas soit la ville elle-même, et non les artifices multiples qui la composent.
Ni loin ni proche, ni ici, ni ailleurs, Las Vegas se signale par le néant. Tous les qualificatifs négatifs que l’on peut attribuer en général à une ville lui conviennent, car son absence de consistance lui donne précisément une existence incertaine : no man’s land, terrain vague, non-lieu, ville fantôme, simulacre urbain, ville de nulle part, etc. Elle est pour nous zéropolis, la non-ville qui est la toute première ville, comme le zéro est le tout premier des nombres. Le nul qui compte, le néant du néon. Ville du degré zéro de la sociabilité, de l’art et de la pensée. Ville quelconque où tout recommencer à zéro, toucher le fond et remonter à la surface, en accumulant des zéros sur un écran. Ville du vacant, du rien et de l’absence qui fait pourtant ville. Ville du trop qui devient sans, de l’excès qui se mue en défaut, de la profusion qui tourne en privation. Atome de ville et ville atomique, contradiction faite ordre, délire architectural et confusion sociale, Las Vegas essaie tant bien que mal de se construire une image intègre, en opposition constante au désert qui la cerne de partout et qui lui rappelle sans cesse sa vacuité originelle.

Bruce Bégout, Zéropolis, Editions Allia, P. 23-24

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