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Olivier Py, Paradis de tristesse

Publié le 16 juin 2007 par Menear
Paradis de tristesse est le premier roman d'Olivier Py (d'ordinaire habitué au théâtre) sorti chez Actes Sud il y a cinq ans. Paradis de tristesse est un de ces livres qu'on arrive pas vraiment à lire à première lecture : on est surpris, le style est très soutenu, parfois un peu maniéré voire grandiloquent ; en tout cas trop luxuriant pour ne pas laisser indifférent, mais aussi parfois trois abstrait pour accrocher le lecteur. Je l'avoue, il y a deux ans, lorsque je l'ai commencé, j'ai vite abandonné. Mais pas cette fois-ci. J'ai décidé de persister, la fin de la fac et ma liberté de lecture retrouvée aidant.
Olivier Py, Paradis de tristesse

Paradis de tristesse ne vaut pas pour son intrigue, assez banale, probablement teintée d'éléments autobiographiques, et volontairement repoussée au second plan : le jeune narrateur découvre le Trap, bar glauque d'un Paris évanescent, et avec lui tous les désirs, les plaisirs et les doutes qu'il comporte, avec tous les personnages louches et/ou intrigants que cela peut supposer. Le Trap ressemble en fait à un repaire de passagers en quête d'absolu, d'âmes errantes dépourvues de destin et dont l'accomplissement spirituel et identitaire passe souvent par un parcours initiatique où la violence, le sexe et la douleur tiennent une place prépondérante. Le narrateur en fait partie. Il découvre dans ce bar sordide (glauque, on l'a déjà dit, aux obscurités artificiellement maintenues et aux backrooms toujours pleines) trois personnages qui deviendront ses proches : Pascual, l'ancien skinhead sadique et cruel, Alcandre, le vieux poète désabusé et Grégoire qui maintient en lui-même un perpétuel grand écart entre ses désirs scatophiles et ses aspirations monacales. Une belle brochette d'âmes en peines, perpétuellement en souffrance, toujours à la recherche de la Joie suprême, elle-même toujours combinée à l'humiliation, aux rapports sado-masochiste et à la cruauté des uns par rapport aux autres. Un vrai chemin de croix, au sein duquel chaque torture est aussi un plaisir supplémentaire.
Passé ce court résumé, on a presque tout dit. Ce roman est un roman qu'on ne peut ni aimer ni détester : on le subit. C'est lui qui dicte sa loi. C'est lui qui imprime son rythme incompréhensible. Dans Paradis de tristesse, le temps n'existe pas, pas plus que les évènements, d'ailleurs. Les personnages déambulent dans une méditation permanente, un parcours toujours placé au coeur d'un grand écart qui dure tout du long : l'écart du style si recherché, si luxuriant, et son sujet, toujours cru, souvent trivial (les nombreuses scènes de sexe, d'humiliation, de violence, etc.). On pourrait y voir une sorte de roman moderne aux relents héroïcomiques (genre qui traite d'un sujet trivial ou prosaïque, « bas », via un style « élevé »), une réflexion sur la Passion tragique et contemporaine de l'homme moderne.
Mais difficile d'y adhérer totalement, quand même. Les phrases de Py, parfois évidentes, souvent alambiquées, gagnent aussi parfois l'abstraction totale des méditations qui ne débouchent sur rien, ou sur si peu. Le grand écart perpétuel dont je parlais précédemment est parfois difficile à tenir, et les références intertextuelles à quelques « poètes maudits » (Baudelaire en tête), parfois trop concentrées. L'entreprise du roman elle-même rappelle trop des « fleurs du mal » modernes pour ne pas rendre la référence redondante.
Il n'empêche pourtant que Paradis de tristesse est bel et bien un piège dont on jure de ne pas franchir le seuil et où pourtant on choisit de se perdre. Le Trap lui-même n'est que la métaphore d'une époque, d'un monde qui a fait du sado-masochisme sa loi et du plaisir sexuel son dieu.

Ce nom : Le Trap. Piège en anglais et sitôt qu'on le confond sexuellement : la trappe, où l'on prie plus ardemment qu'ailleurs, où le silence plus qu'ailleurs est la règle. Ce passage, doux basculement d'une langue à l'autre et d'un genre à l'autre, accentuait la confusion très belle de l'enseigne.
Le Trap était un piège, l'idée d'être un gibier s'accorde avec la cynégétique de la nuit, l'idée d'un cloître terrible à l'exigence colérique qui impose le silence, l'abandon, l'oubli, est plus puissante que tous les décors érotiques de pacotille. Les chasseurs et les moines sont de la même espèce, la fusion virile est leur liturgie, ils chassent le grand silence ; l'alliance renouvelée avec le cosmos.
Dans la fusion virile autant que dans le gynécée, quelque chose de la mort est oublié, nous rêvons de parthénogenèse douce et non plus de cet insatiable et infect besoin de se perpétuer qui donne paraît-il au déisr sa beauté bien que je n'aie jamais pu en goûter l'étrange amertume ; au point de n'aimer que mon sexe, de ne choisir d'aimer que mon sexe, et cet enchantement sans danger de la fraternité oublieuse de la mort.

Olivier Py, Paradis de tristesse, Babel, P.30.

Mais cela n'enlève en rien la fascination que ces pages peuvent imprimer sur son lecteur. Au-delà du dégoût, au delà de la honte, au-delà de la souffrance, aussi, se trouve cette vérité si lointaine que pourtant on ne peut s'empêcher de traquer. Cette vérité spirituelle, ainsi que l'indique le titre (et la couverture), qui va au-delà du simple blasphème que l'on croit apparaître dans les premiers chapitres et qui accorde à ses personnages le salut qu'il semblaient désirer ou qu'ils redoutaient de désirer. Dommage cependant, qu'en bon auteur de théâtre sans doute, Py ait souvent eu tendance à faire de ses personnages des allégories ce qui, si on l'associe à la démarche très maniérée de sa littérature, installe un rideau entre les personnages et le lecteur. Au fond, au bout du parcours romanesque, on se surprend un peu semblable aux personnages dont on suit les aléas : on ne ressent rien ; mais ce « rien », au fond, qui est peut-être la Joie, est un « rien » fascinant.

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