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Récits anonymes #5

Publié le 20 janvier 2007 par Menear
Un de ces moments qu'on aimerait bien passer en vitesse accélérée.
Non.
Un de ces moments que j'aimerais passer en vitesse accélérée. Un de ces moments d'inactivité totale, planté en face d'un miroir qui reflète exactement ce que je n'ai pas envie de voir à l'instant T, c'est à dire moi-même. Un de ces moments passés sur le siège du coiffeur. Un de ces moments qui n'a donc rien à voir avec la dernière fois.
Mais, parfois, ça arrive, ce genre de moment est entrecoupé de petite scène, de petite intrusion de paroles, de dialogues, de conversation voisine, en l'occurrence, la conversation de la cliente d'à côté avec celle qui la coiffe. Le genre de conversations qui ont pour effet de te faire détourner le regard le plus possible (pas facile, pendant qu'on est soit-même en train de se faire coiffer) afin d'accrocher une image, de voir qui parle. Non pas que ce soit important, c'est juste un peu de curiosité amusé mal placée.
Bref, la conversation en question, la voici, ou tout du moins en voici une retranscription que j'espère la moins infidèle possible :
- Vous savez, moi, dans la vie, j'avais trois grands rêves... Poursuivre ma carrière dans les P.T.T., devenir coiffeuse et faire du tire à l'arc...
- Ah, oui.
- Et bien j'en ai réussis aucun !
- Oh... Comment ça se fait ?
- Et bien, figurez-vous que j'ai essayé de devenir coiffeuse, mais ça n'a pas marché parce que, je ne sais pas, je ne savais pas comment m'y prendre, mais c'était mon rêve, vous comprenez... Alors que maintenant, si vous saviez, ma fille en a fait son métier, même si, elle, ce n'était pas une passion au départ, hein, ça s'est présenté comme ça alors c'est ce qu'elle a fait, mais elle n'y pensais pas avant...
- Alors c'est devenu une passion après.
- Voilà, exactement !
- Et alors qu'est-ce qu'il s'est passé avec les P.T.T. ?
- Oh, et bien c'est très simple... A l'époque, je pensais que je ferais carrière parce que mon mari était au P.T.T. Et qu'on pensait faire ça ensemble, vous comprenez. Mais entre temps, il s'est présenté une opportunité, et il se trouve qu'il s'est fait engager dans la Gendarmerie... J'aurais pu continuer au P.T.T. bien sûr, parce que là où il a été muté, les P.T.T. étaient juste à côté de la Gendarmerie, mais je me suis retrouvée seule avec la petite alors je n'ai pas pu continuer ma carrière... - Et oui, à cette époque, c'était délicat... Maintenant ce n'est plus un problème, mais avant...
- Voui. Et quant au tir à l'arc, et bien, vous savez, j'ai toujours été fasciné par ça...
- Oh oui, c'est que ce sont des beaux objets maintenant !
- Oui, et puis j'ai toujours aimé les petites cibles... Mais ce n'est pas évident, alors, vous savez, et bien, j'ai abandonné...
- Vous savez ce qui est le plus difficile ? C'est de tirer la corde. C'est qu'il faut avoir de la force pour tendre ces cordes... C'est pas évident...
- Oui, c'est vrai... Sans compter que je vois mal de loin, alors c'était difficile, vous savez, pour viser surtout.
- Ah mais, vous auriez pu porter des lunettes, aussi. Je pense qu'ils vous auraient autorisés à porter des lunettes.
Le plus malheureux dans cette (anonyme) histoire, c'est qu'en me levant, en récupérant mon manteau, en payant, en sortant, je n'ai pas pensé à me retourner, à regarder, à jeter un oeil, juste un oeil, ne serait-ce que pour savoir de quoi elle avait l'air, cette brave dame...

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