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Récits anonymes #4

Publié le 12 décembre 2006 par Menear

C'est une fin de journée comme les autres, excepté peut être tout cet oxygène dans mon tram non bondé, une bénédiction compte tenu du fait qu'il est cinq heures et qu'à cinq heures, en général, je suis plutôt compressé contre une vitre qu'assis au milieu des deux « wagons ».

C'est une fin de journée comme les autres, et je croise un regard, dehors, de l'autre côté de la vitre, là où il fait déjà nuit ou presque et de l'autre côté d'une autre vitre encore. Un automobiliste. Un type d'une cinquantaine d'année un peu joufflu, un peu pataud, au volant d'une petite camionette (un van) à l'arrêt au feu rouge pendant que mon tram, lui, attend quelques voyageurs retardataires.
A sa gauche, sur la place du passager, il y a une autre forme, une autre silhouette, une autre personne. Une femme. Sa femme, sans aucun doute. La cinquantaine, le visage un peu joufflu, l'air pataude, un peu de rouge aux joues. La bouche en cul de poule. Elle parle, je crois, elle parle mais moi, de l'autre côté de mes deux vitres, je n'entends rien. Lui non plus, son mari, visiblement. Son regard est aussi fixe que peut l'être un regard perdu dans le vague du lointain, son front est détendu, ses épaules semblent glisser de son buste. La femme parle, sans que je n'entende aucun son, et le type un peu joufflu n'émet aucun geste, aucun mouvement. Le regard perdu, là, juste là, entre moi-même et le feu décidément rouge.

Et puis, à un moment, un seul, alors que le tram s'est remis en route et que je passe juste en face de lui, sa tête se tourne, son regard croise le mien et se confond dans mon propre reflet délavé. Son regard croise le mien, une expression de supplication le traverse et s'estompe instantanément. L'air de souhaiter qu'elle se taise enfin, celle-là, elle qui, dirait-on, se plaint de la lenteur des feux à passer au vert.

Et puis c'est tout. Le tram continue sa course et moi je tourne la tête.


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