Ces deux derniers soirs, comme beaucoup, j'ai regardé les deux volets du documentaire de Patrick Rotman (Chirac) sur... Chirac. Sur le documentaire en lui-même, j'ai peu de choses à en dire (sinon qu'il est à conseiller), parce que ce n'est pas de ça dont je veux parler. Non, comme vous l'aurez compris si vous avez pris la peine de lire le titre du billet, je vais vous parler de Rastignac. Pourquoi ? Tout simplement parce que son nom est cité à chaque fois qu'il est question d'ambition dans les documentaires/articles/biographies concernant (ou pas) un homme politique (c'était déjà le cas notamment dans le Roman du pouvoir sur Mitterrand de, déjà, Patrick Rotman). Rastignac, il est pratique, il illustre à merveille le « jeune loup », l'arriviste aux dents longues qui serait prêt à faire n'importe quoi pour monter en grade. Et moi, cette comparaison, à chaque fois, elle m'énerve...
D'abord, Rastignac, c'est un personnage de la Comédie Humaine de Balzac, bien sûr, qu'on découvre pour la première fois dans le Père Goriot (qui ouvre un superbe cycle de trois chefs-d'oeuvre, soit dit en passant) et qui désire rejoindre la haute société qu'il admire tant, bref, c'est le cliché du jeune ambitieux de province qui « monte » à Paris des rêves plein la tête.
Alors quel est le problème ? Rastignac n'est-il pas ambitieux ? Si, certainement. Mais ce n'est pas un arriviste aux dents longues, puisque c'est désormais le sens qu'a revêtu nom. Et d'une, l'ambition, chez Balzac, est une valeur po-si-ti-ve. Dans la Comédie Humaine, il est vital pour un jeune homme d'être rempli d'ambition, de rêves, d'illusions. Pour un jeune ou pour un artiste, c 'est indispensable. Balzac lui-même n'était-il pas un sacré ambitieux ? Bon, ça c'est pour la première chose, l'argument mineur.
Car ce qu'il faut surtout retenir c'est que Rastignac n'est pas cet arriviste aux dents longues, ce jeune loup prêt à n'importe quoi pour réussir. Dans Le Père Goriot il ne cède pas aux « propositions indécentes » de Vautrin, il rejette le principe du crime comme faiseur de carrière. Son ambition ne le pousse pas à accepter n'importe quel accord. C'est pourquoi je trouve la comparaison faite avec le stéréotype de l'homme politique véreux et immoral complètement bancale. Contrairement à Lucien de Rubempré (Illusions Perdues, Splendeurs et Misères des Courtisanes) par exemple, Rastignac refuse l'alliance plus ou moins forcée avec le diable (Vautrin). Par ailleurs, la comparaison de Chirac avec Lucien me paraît beaucoup plus valable, notre président faisant figure d'une sorte de Lucien plus fort, une sorte de Lucien qui gagne, en quelque sorte (le pantin volontaire dirigée par son éminence grise).

