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Récits anonymes #2

Publié le 28 septembre 2006 par Menear

C'est pourtant toujours les mêmes gestes, toujours les mêmes paroles, les mêmes mouvements, les mêmes sourires, aussi. C'est toujours le même reflet. Le même, mais en différent. Plus de cheveux, moins de cheveux. Des cernes, pas de cernes. Plus ou moins bien rasé. Plus ou moins ailleurs.

Et pourtant ça commence différemment, parce que ce n'est pas lui qui me fait le shampoing. Ce n'est pas lui, non plus, qui m'invite à m'asseoir et à me regarder pour la première fois dans le grand miroir, les cheveux mouillés et sombres et dans tous les sens. Ce n'est pas lui non plus, rétrospectivement, qui m'a salué le premier et qui a enlevé ma veste pour la poser sur un cintre. Mais c'est bien lui, cette fois, qui s'empare des ciseaux, c'est lui qui regarde le miroir pour me regarder moi et qui dit : comme d'habitude ? Ordre de la chef. Vous allez faire M. E, elle a dit, la chef, alors ok. Bien. Je ne connais pas son âge. Le même que le mien sans doute. Sans doute. Il n'a pas particulièrement l'air d'un coiffeur, tout en ayant le look, et, justement, la coiffure. Mais à part ça, il pourrait être n'importe qui. N'importe qui que je croiserais dans la rue sans le regarder jusqu'à l'apercevoir et me retourner.

La seule chose que je connais de lui : ses mains. Notre seule contact. Parce que la parole n'est pas un contact, parce que la parole est une sorte de compromis entre coiffeur et coiffé : la conversation habituelle de deux personnes qui n'ont rien à se dire. Mais parce qu'il y a un miroir entre nous, peut être, il faut parler. Et les mêmes questions reviennent, les mêmes bouts de phrases touchants. Touchants, parce qu'on les connaît, on a appris à vivre avec et, au fond, on les aime bien, ces bouts de phrase, toujours les mêmes. Peut être aussi qu'on les aime parce que, pour quelques temps, ils nous évitent d'avoir à n'avoir que cette image de nous même en face des yeux...

Mais ne reste que ce seul contact. Sa main glissant peu à peu contre mon crâne, contre mon front. Sa main douce et froide, un peu et, à chaque mouvement plus rapide, une odeur de paquet de cigarettes. De cigarettes.

Son bras perpendiculaire à ma tête, sa main posée sur le dessus, et un regard sur la gauche qui me permet d'apercevoir un bout de chair, son poignet, dans l'ouverture de sa manche. Juste un regard volé, le temps que sa main se replace plus vers l'arrière.

Devant moi, l'étonnante photo d'une personne qui me ressemble, immobile et fixe. Et tout autour, une drôle d'amputation permanente qui semble n'avoir aucun sens. Mais ce que je ne peux m'empêcher de fixer, au centre, ce sont ces deux trous noirs, béants. Deux yeux si sombres et si vides, qu'on dirait que je ne suis rien ou bien que je me concentre sur quelque chose, quand bien même je laisse mes pensées libres de faire ce qu'elles veulent.

Parfois, quelque part sur la surface du grand miroir, j'ai l'impression, l'impression, que nos regards se croisent, même si on ne peut jamais rien savoir quand on fixe constamment cette surface froide et uniforme. Partout où l'on regarde, peu importe la position de nos yeux sur l'écran, c'est le même regard, la même direction. Et un regard en commun, du même coup, ça ne veut plus dire grand chose.

Puis vient toujours le moment, la fin, lorsque tout est coupé et que ma tête me laisse une drôle d'impression, où je retrouve ce drôle de sourire, ce drôle de regard, à la fois amusé et réservé. On met du gel ? A chaque fois. Toujours. C'est toujours comme ça que ça se finit. Et moi qui ne sait pas, qui n'en sait rien, mais qui attend quand même cet instant et qui serait déçu s'il n'advenait pas. On met du gel ? Je sais pas. Et puis un nouveau sourire. Allez, juste pour aujourd'hui, juste pour le jour où on va chez le coiffeur. Habituellement, sans même chercher à le vouloir, j'alterne. Un coup j'accepte, un coup je refuse. Pour établir une sorte de ridicule parité. Et même si, en rentrant chez moi, la première chose que je fais c'est de me passer la tête sous l'eau pour oublier ce gel. Parce que ça n'a pas d'importance. Parce que c'était juste pour lui, pour lui faire plaisir, lui qui semble accorder tellement d'importance à ce détail qui me paraît à moi, moi le reflet sur lequel il travaille, sans intérêt. Allez, juste pour aujourd'hui, juste pour le jour où on va chez le coiffeur. Comme si c'était important, comme si c'était un jour particulier, un spectacle, un événement. Et je cède. Ok. En souriant. Ok. Et lui de sourire à nouveau, content d'avoir obtenu ce qu'il voulait, peut être. Et son gel qu'il m'applique sur le crâne ce qui en fait, je le remarque en direct sur cette drôle d'image de moi-même, ne change pas grand chose au résultat initial. Mais si ça a pu lui faire plaisir, alors... Peut être bien que je ne me passerai pas la tête sous l'eau en revenant tout à l'heure, tiens...

Et puis c'est comme ça que ça se termine. Le dernier effleurement de l'un de ses doigts contre mon cou, et un dernier regard pour voir si tout est bien égal, et retirer l'espèce de blouse sur laquelle roulent des mèches de cheveux presque châtains. Et le siège qui tourne. Et le dernier geste pour me tendre ma veste.

Je paye, enfin, mais pas à lui. C'est la boss qui m'encaisse, pas lui. Ce qui me frustre toujours un peu. Mais tant pis. C'est fini. Ca n'aura duré pas plus d'une demie-heure.

Merci. Au revoir. Bonne journée. A dans deux ou trois mois.

Coiffure, érotique art, un peu.

Note : J'ai un petit peu hésité avant de savoir si oui ou non je voulais publier ce petit texte sur le blog. Un petit quelque chose comme une gêne, je crois, puisque jusque-là j'ai toujours cerné les zones de ma vie à dévoiler et celles à conserver. Non pas que ce soit honteux, non pas, non plus, que je sois amoureux de mon coiffeur, évidemment, mais je ne sais pas. Quelque chose qui touche à l'intime, pour la simple et bonne raison que ce genre de texte rentre dans ma tête. C'est la cause de cette hésitation, je crois. Mais peut être, sûrement, même, que ce genre de texte n'a sa place nulle part ailleurs qu'ici, sur ce blog, parce qu'il n'aurait rien à faire dans mes écrits de fiction. Parce que j'avais envie de l'écrire et de le faire partager, aussi, sans doute...


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