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Anthologie permanente : Vélimir Khlebnikov

Par Florence Trocmé


(du jeu des plans verbaux bigarrés).
Les hommes : O, Sainte mère !
1er passant : Alors, il est là ? Ce fou du bois ?
2ème passant : Oui !
1er passant : Qu'est ce qu'il fait ?
2ème passant : Il lit à haute voix, il parle, il respire, il voit, il entend, il marche et fait sa prière tous les matins.
1er passant : Qui prie-t-il ?
2ème passant : Je n'en sais rien ! Les fleurs, les petites bêtes, les crapauds des bois ?
1er passant : L'idiot ! Le prêche du fou du bois ! Et les vaches, il ne garde pas les vaches ?
2ème passant : Non. Pas pour l'instant. Regarde, l'herbe ne pousse pas sur la route ; le chemin est bien tracé jusqu'à ce rocher. Ça veut dire qu'on y passe !
1er passant : Un original ! Écoutons un peu ce qu'il raconte !
2ème passant : Il est avenant, féminin. Mais il ne tiendra pas le coup longtemps.
1er passant : Pourquoi ? Il va mal ?
2ème passant : Oui.
(quelqu'un passe)
3ème passant : Lui, il est en haut et, en bas, les gens sont bons à recevoir les crachats de son enseignement !
1er passant : C'est peut-être comme les noyés ? Ils flottent, ils ont bu la tasse...
2ème passant : Si tu veux. Il est la bouée de sauvetage ?
1er passant : Oui. Jetée du ciel ?
1er passant : Attention, l'enseignement du fou du bois commence. Maître, nous t'écoutons.
2ème passant : Et ça, qu'est-ce que c'est ? Un bout du manuscrit de Zanguezi. Il s'est collé à une racine de pin et blotti dans un trou de souris. Il a une belle écriture.
1er passant : Lisez-donc tout haut !
Plan VI
Zanguezi
:

Moi, papillon entré
dans la chambre de la vie humaine,
je laisserai le paraphe de ma poussière
sur les fenêtres austères, signature de prisonnier,
sur les vitres sévères du destin.
Si triste et si grise
la tapisserie faite de vie humaine !
J'ai déjà effacé ma lueur bleue d'incendie,
les dentelles de points,
la tempête bleue de mon aile, première fraîcheur,
Le pollen est envolé, les ailes sont fanées et
sont devenues transparentes et rigides,
Je frappe fatigué à la fenêtre de l'homme.
Les nombres éternels frappent de là-bas,
comme la voix du pays natal, le nombre appelle
à revenir aux nombres.
[...]

Vélimir Khlebnikov, Zanguezi, in La Création verbale, traduit du russe par Catherine Prigent, Christian Bourgois éditeur, 1980, pp. 37 et 42.
Vélimir Khlebnikov dans Poezibao :
bio-bibliographie, notes sur la poésie, ext. 1
Rappel : la revue Europe vient de consacrer son dernier numéro, 978, automne 2010, à Vélimir Khlebnikov.
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