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**** Agualusa José Eduardo, Le marchand de passés.

Par Ferrandh

agualisalemarchanddepasss.jpgAvec Le marchand de passés, José Eduardo Agualusa, écrivain angolais, nous livre un magnifique roman sur l’identité et le passé. Une quête identitaire ou plus prosaïquement le simple désir d’en avoir une nouvelle ; cela après un passé fait de confusions, de troubles et peut-être d’actes dont il vaut mieux cacher à jamais le nom de son auteur, ou plus simplement en changer car devenu ennuyeuse.

« Un nom peut-être une condamnation. Il en est qui entraînent leur porteur, comme les eaux boueuses d’un fleuve après les grandes pluies, et, si forte que soit la résistance, lui imposent un destin. D’autres, au contraire, sont comme des masques : trompeurs. La plupart, évidemment, n’ont aucun pouvoir. », p.38.

Une nouvelle identité, un nouveau passé, voilà qui peut être extrêmement utile dans un Angola qui sort à peine d’une des guerres civiles les plus longues de cette seconde moitié du XXe siècle. Tout a été chamboulé, tout a été meurtri ; héros et gardien de la révolution il y a peu, traître et renégat vous voici maintenant. A celui qui désire se faire nouvel homme, à celle qui veut se faire une nouvelle virginité, rien de mieux que de pénétrer dans la vieille maison coloniale de Félix Ventura, bouquiniste de livres anciens et surtout artiste ciseleur du passé. Vous serez à nouveau enfanté : de nouveaux parents, de nouvelles sœurs, de nouveaux amis, de nouvelles professions, de nouvelles racines. L’ensemble agrémenté de lettres d’amour, de missives d’amis perdus, de photos de classe et de bien d’autres témoignages. Dire que Félix Ventura, albinos à l’âge respectable, est un faussaire serait médisance. Voyez en lui un artiste et pourquoi pas un écrivain : 

« Je pense que ce que je fais est une forme avancée de littérature. Moi aussi je crée des intrigues, j’invente des personnages, mais au lieu de les garder prisonnier dans un livre, je leur donne la vie, je les jette dans la réalité », p.55.

Un soir, un étranger, David Buchman, homme volubile aux manières bien étranges qui irritent l’albinos, demande à ce dernier de lui reconstituer un passé, de nouvelles perspectives pour son avenir. Hésitant, Félix accepte cependant, tout en sachant que cette fois-ci ne sera pas comme les autres. Et en effet, l’étranger se lance dans une quête folle autour du monde afin de trouver les preuves de l’existence de ses parents, ceux créés par l’imagination de l’artiste ciseleur. De créateur, Félix Ventura devient témoin. Ces scènes se déroulent sous le regard scrutateur du narrateur, un gecko tigré, compagnon involontaire de l’albinos. Par le passé – quand ? – lui aussi a eu une autre vie, celle d’un homme. Laquelle ? Il ne s’en souvient plus. Sa présence dans le quotidien complice de Ventura est ponctué de ses cris qui ressemblent étonnamment à des rires humains. Analyste, commentateur, philosophe, anachronisme, le gecko livre ses impressions, ses sentiments, toujours proches de son ami et confident, son distingué et un tant soit peu empesé hôte. Bien étrange que cet animal qui disserte sur l’identité de l’homme et la fragilité d'un passé tant aléatoire. José Eduardo Agualusa nous conte une bien mystérieuse et merveilleuse histoire où fantastique rime avec onirisme, où l’irréel de la narration fait écho à un passé devenu matière brute qu’un artisan de génie modèle suivant l’identité recherchée. La passé se rapproche ici des toiles surréalistes de Dali où la matière se fait visqueuse et liquide. Le gecko invite le lecteur dans des univers qui n’est pas sans faire penser à Haruki Murakami. Quête sur l’identité, le passé, la métamorphose, la réincarnation et l’illusion, Le marchand de passés est servi par une très belle écriture. Toutefois, on regrettera une fin trop abrupte et par trop engoncée dans une réalité historique qui décille trop violemment un lecteur jusque-là agréablement baladé dans des univers parallèles si lointains et si proches.

Agualusa José Eduardo, Le marchand de passés, Métailié, 2010, 134 p.


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