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Même le silence a une fin d'Ingrid Betancourt

Publié le 21 octobre 2010 par Xylophon

"Témoin signifie martyr. Tout homme qui témoigne est écartelé, doublement déchiré dans sa chair et dans son esprit. Déchiré d'abord à l'intérieur de lui-même entre le témoin suprême au sommet de son être et le pitoyable individu dont il assume la vie au long des jours. Déchiré encore par l'abîme qui sépare la vérité dont il témoigne du monde qui ne veut pas recevoir son témoignage" Rainer Maria Rilke, Le livre de la pauvreté et de la mort.

Témoigner c'est donc à la fois dire pour soi, pour en finir avec cette dualité oppressante qui fait que pour survivre on a été obligé de scinder la vie de là bas et la vie d'ici.

Mais témoigner c'est aussi raconter pour les autres, pour que l'Histoire ne se répète pas. Il ne s'agit pas forcement de comprendre: parceque tant qu'on a pas vécu les choses elles sont difficilement envisageables, parceque "comprendre" nous dit Primo Levi dans Si c'est un homme "c'est presque justifier". Mais témoigner c'est aussi aider car "aucune expérience humaine n'est dénuée de sens ou indigne d'intérêts"

Voilà deux raisons qui me mettent particulièrement mal à l'aise face aux détracteurs et aux critiques faites à l'attention d'Ingrid Betancourt.

D'abord peu de gens semblent avoir pris le temps de lire son livre, ensuite je trouve très facile de critiquer loin d'une réalité que l'on ne connait pas et que l'on a pas vécue.

Ingrid Betancourt a des côtés agaçants: elle a cette assurance de la petite fille bourgeoise, qui fréquentait enfant le jardin du Luxembourg. Elle a ce tempérament de feu et la "grande gueule" des politiques colombiens qui croyait avant l'emprisonnement que tout était possible dans cette Colombie anéantie par la corruption de ces dirigeants, l'autoritarisme des paramilitaires, la folie extravagante des Farcs et des narcotrafiquants.

Mais au-delà de cette personnalité, il reste la force d'un récit de l'enfermement. Le témoignage d'Ingrid Betancourt, est une plongée dans la vie des Farcs, dans un monde vivant en autarcie, dans une jungle qui vous étouffe et dans une prison hors du temps et hors du monde qui déshumanise.

Car c'est là, à mon sens, la grande qualité du récit. On y apprend comment se construit le processus de déshumanisation. On comprend comment chaque geste, chaque parole retentissent sur les otages. C'est par exemple donner des numéros aux prisonnier en cessant de les appeler par leur nom, c'est encore les infantiliser en leur demandant pour chaque acte de demander la permission (même pour aller aux toilettes), c'est ensuite ce positionnement d'être toujours en demande, d'être toujours surveillé, d'être en concurrence avec les collègues otages pour avoir plus de pain, c'est enfin subir parfois le mépris, parfois l'indifférence et même la violence.

Ingrid raconte donc ces moments difficiles avec beaucoup de pudeur, mais elle relate également comment elle a pu tenir, comment elle a pu trouver les ressources nécessaires pour survivre à ces 6 ans et demie dans le jungle.

On ressent à travers son récit,au moins au début de sa captivité, une combativité qui fait qu'à chaque fois qu'elle se sent attaquée elle répond à ces geôliers. C'est donc des dialogues parfois surréalistes, parfois humoristiques qui nous sont donnés à voir. Comme le jour où un farc lui dit qu'il a tué un tigre (c'est à dire un jaguar)et qu'elle lui répond que ce sont des espèces protégées.

On croit comprendre qu'elle a tenu par des petites choses. Au delà des évasions manquées, qui suscitaient l'espoir et imagination, il y avait le travail de brodeuse, les cours de français, la lecture des Harry Potter, les anniversaires fictifs de ses enfants et surtout la radio qui a su la rattacher dans les plus profondes souffrances au monde des vivants.

Ingrid Betancourt n'est ni la figure héroïque que les médias ont voulu construire, ni le mouton noir méchant parmi de gentils otages (il existe même une page facebook anti-Ingrid Betancourt)mais juste une femme qui a prouvé une nouvelle fois " la faculté qu'à l'Homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans ces circonstances apparemment désespérées.

Et cela pour les otages encore en captivité, c'est extrêmement important et pas inutile non plus pour nous qui vivons dans le confort de notre monde quotidien.


Les Matins - Ingrid Betancourt
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