Magazine Culture

Ta mémoire, Petit Monde - Alain Foix

Par Emmyne

41C3JCGYKBL__SS500_Prenons un petit monde au hasard dans la rue. Tenez, dans Pointe-à-Pitre, sur le trottoir de la rue Barbès. Il sort tout juste de l'école et fixe le caniveau. Dans le ruisseau, son bateau de papier. Au bout de la rue, un bâtiment immense. Sa coque de noix va droit dessus. Un géant blanc posé sur l'eau et qui écrase la ville de majesté. Le Colombie, comme c'est écrit dessus, pousse un long hurlement et arrête le temps. La ville est suspendue et le monde médusé. C'est la terre qu'on déchire, le géant se délivre. Une lente déchirure, mouvement inexorable, et la mer s'y engouffre. Un gouffre de vertige, d'un bleu à s'y noyer. Et le monde rapetisse à mesure qu'il s'éloigne. Le bateau de papier a mouillé l'encre bleue. Le vent l'a renversé, l'enfant l'a oublié. Bientôt c'est le grand jour où il verra le monde du pont du Colombie.

- Gallimard -

Ce roman me fait découvrir la collection Haute Enfance et la plume d'Alain Foix. Souvenirs et mots précieux qui racontent les années soixante, la petite enfance à la Guadeloupe, le départ vers la France, cet exil volontaire, le désenchantement, le froid des jours et des gens, les cités, la peau noire juste " avant que Black ne soit Beautiful ", comme l'écrit si bien l'auteur.

Son regard empreint de nostalgie entre poésie et réflexions sur son parcours d'enfant, sa conscience assumée des chemins qu'il a dû prendre, mêlent les thèmes du déracinement, des liens familiaux qu'ils soient de sang ou non, à l'histoire de la France, celle de métropole et celle d'Outremer.

Et la plume, exigente, qui témoigne du goût des mots. Leurs sons, leurs sens. J'ai été ensorcelée par cette écriture, par la voix. C'est un chant. Un rythme circulaire, hypnotique, celui de la mer qui roule et revient, air salé sucré conjugué au temps de la mère.

" J'étais sans connaissance. J'étais enfant. A la Guadeloupe. Sans connaissance ? Le monde me venait de plein fouet. Comme la mer. Comme l'océan aux Portes d'Enfer, à la Pointe des Châteaux. J'étais sans connaissance. Je recevais le monde dans l'eau de l'innocence. J'étais un petit monde. Ma mère était ma barrière de corail. "

" J'entrais dans le grand port du Havre. Ne savais pas, non pas encore, que Lino l'Indien, yeux noisette, était resté là-bas, tout petit sur le quai. Les grandes mains de la brume caressant mes cheveux lisses les auront vite crêpés. Chevelure resserrée d'identité nouvelle. Loin de l'Indien, dans mon miroir, je verrai l'Africain. [...] Derrière les voiles de brumes, les falaises de craie sur un grand ciel d'ardoise. La France avançait sur la mer, s'écrivait toute blanche sur un grand ciel d'ardoise. L'hiver de 1962 jetait un vent glacé sur les eaux grises de la Seine et son cours sinueux serpentant entre l'Eure et l'Oise dans sa vallée flanquée de falaises, comme disait mon livre de géographie. Elles charriaient encore dans une lente digestion le souvenir brûlant des Algériens qu'on y avait jetés juste avant le printemps. J'arrivais en France et voulais voir la neige. Ne savais pas encore. J'étais un enfant comme les autres, ma mère, une maman créole comme beaucoup d'autres, c'est-à-dire seule et ses enfants dans sa valise, jetée par la misère sur les côtes glacées, coco dans l'océan, partant à la dérive. [...] Ce n'étais pas seulement à cause du froid que je me bouchais les oreilles. Je regardai pleurer ma mère, ses grandes larmes salées. La deuxième fois pleurer ma mère. "

Livre choisi par Stephie pour la chaîne des livres organisée par Ys.

chainelivre


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Emmyne 573 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines