Quel est selon vous le rôle d'un écrivain ? "
"Prêter à autrui les mots dont il a besoin pour avoir accès à lui-même et formuler éventuellement ce qu'il vit. Bien des gens sont coupés d'eux-mêmes et n'ont pas du tout la possibilité de dire ce qu'ils sont. Moi, à l'adolescence, j'ai vécu cette situation douloureusement. Je bouillonnais et je n'arrivais pas à parler. Beaucoup de gens sont pratiquement dans cet état toute leur vie. Écrire, c'est donc d'abord écrire pour soi, en fonction d'un besoin personnel, mais c'est aussi, je crois, savoir suffisamment se détacher de soi pour tenir un propos universel qui puisse concerner autrui. J'éprouve toujours le besoin de dépasser les limites de l'individuel pour aller vers quelque chose d'immense que je sens en moi, de l'ordre de l'universel. De même, écrire fait partie d'un travail que je poursuis incessamment en moi, un travail qui me met en paix."
Interview de Charles Juliet (extrait) trouvé sur EFM.LASIATE.COM
Dans ce texte très court et extrêmement dense,Charles Juliet livre l'histoire d'un combat, celui de l'écriture pour soi, pour extirper sa propre histoire enfouie dans les tréfonds de l'être et qui, au lieu d'avoir construit, a déconstruit, par trop de peines et de douleurs incommunicables.
Ce travail d'écriture nous est livré avec beaucoup de sincérité et est raconté comme une lutte contre soi-même, pour arriver à muer les douleurs silencieuses en mots.
Les phrases courtes, simples et serrées, viennent traquer les bouts de malheurs pour mieux les mettre à jour. Ils ont éclaté tout le long d'une vie pour la laisser en lambeaux de douleurs.
J'ai été très sensible à ce récit autobiographique unique qui, sobrement, dit toute sa difficulté à émerger en même temps que sa tenace nécessité à advenir.
Ce court texte est d'abord extrêmement plein et bien construit. L'écriture s'adresse à un "tu" triple, qui vient se dévoiler intimement au lecteur au fur et à mesure que le livre avance.
Le narrateur tutoie ainsi trois personnes: sa mère, morte quand il avait 7 ans mais dont il a été séparé dans des conditions dramatiques à l'âge de trois mois, puis l'enfant qui a grandit et l'écrivain qu'il est devenu, enfin, la mère adoptive, "la toute donnée", à qui il rend un hommage poignant.
L'auteur a réunit ainsi l'enfant et ses deux mères dans un dialogue intérieur et intime qui recompose leur l'histoire en mots de douleur, de deuil et d'amour. Il ne laisse rien de côté, avec minutie, obstination et constance, il met bout à bout, toutes les larmes, même les inconnues. La première partie de ce travail est sans doute celle qui m'a le plus émue.
Elle tente de faire toucher du doigt le drame de la mère qui va jusqu'à abandonner son enfant en faisant une tentative de suicide. Le fils imagine cette lente descente aux enfers, il la rumine, la fait renaître, et semble l'expliquer.
Il raconte son histoire à elle : abandonnée de tous, elle mourra de faim dans un hôpital psychiatrique où elle a été enfermée abusivement.
" Ce récit aura pour titre Lambeaux. Mais après en avoir rédigé une vingtaine de pages, tu dois l'abandonner. Il remue en toi trop de choses pour que tu puisses le poursuivre. Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t'affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie. Ni l'une ni l'autre de tes deux mères n'a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dans les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t'exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plait de penser que ce fut autant pour elles que pour toi. Tu songes de temps à autre à Lambeaux. Tu as la vague idée qu'en l'écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu. Lorsqu'elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots;écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donneras la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu.
un bel article sur Le salon de Madame Verdurin
également chez alice.fr,
sur Club des rats de biblio.net, on retrouve flo, chimère, clarabel et chantal, toutes enthousiastes, sauf clarabel qui met un bémol. Un coup de coeur pour florinette et aussi sur mes lectures. Un beau billet sur Plumes sauvages, une analyse très complète et interessante, sur esprits nomades,