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Débat : la littérature et la liberté d'expression de Matzneff, une aberration ?

Par Manus

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Débat : la littérature et la liberté d'expression de Matzneff, une aberration ?

Cela fait plusieurs jours maintenant que des questions concernant la littérature et la plateforme que celle-ci puisse représenter quant à la liberté d’expression, se pose pour moi.

A vrai dire, si je lance ici le débat, c’est que mes interrogations sont nombreuses et qu’il me semble difficile d’avoir un avis tranché sur le sujet.

Thème sensible car je prendrai un exemple qui dérangera le lecteur.  D’une part, parce qu’il bousculera les personnes ayant des convictions, d’autre part, parce qu’il énervera ceux qui, justement, au nom de la liberté, réfutent toute forme de morale.

La littérature, entre ces deux extrêmes, se comporte de manière louvoyante.  Tout comme l’art, celle-ci a pour mission, si je puis dire, de servir de vitrine à toute personne ayant des choses à exprimer, que ce soit au niveau du style qu’il souhaite exercer, du contenu qu’il éprouve le besoin de partager, ou encore les deux.

Pour ouvrir le sujet, je vais donc prendre cet exemple qui met mal à l’aise et qui touche le cœur même de l’homme, à savoir sa liberté.

Gabriel Matzneff ( "les moins de seize ans", "Les carnets noirs" sont les plus contestés. D'autres oeuvres ici),  auteur honni ou adulé, ne peut laisser indifférent.  Il a la réputation d’un écrivain sulfureux, prônant sans complexes, voire avec provocation, la pédophilie, émettent ses détracteurs.  Pour ses défenseurs, Matzneff n’a rien d’un pédophile.  Au contraire, il prône l’amour avec grâce et délicatesse, profondeur et panache, reflet du sang noble charrié dans ses veines.

Cet aristocrate des lettres, ce dandy de la vie, est notamment l’auteur d’ouvrages ayant soit fait scandale, ou soit ayant engendré un fan club composés de politiques, de média et de personnes issues du gratin intellectuel parisien.  Non seulement ils se sont mobilisés pour lui, mais ont signés des textes , une pétition vers les années 70' plus précisément, visant à baisser l’âge légal de la majorité sexuelle.

Auteur dont l’écriture est classique, soignée et élégante, qui sera contraint, suite à un boycott manifeste de certains média, de quitter la scène publique ; animal blessé préférant écrire à l’ombre de toute polémique.  Mais aujourd’hui, le vent tourne à nouveau en sa faveur, et le voici en lice pour le prix Renaudot.

Plusieurs questions que j’aimerais aborder découlent forcément à partir de cet exemple :

  1. Est-il permis, au nom de la liberté d’expression, d’indexer un auteur au nom de la morale ou des bonnes mœurs sur lesquelles se fondent certains articles de lois visant à promouvoir le bon fonctionnement en société  ?
  2. Est-il possible en littérature, de dissocier l’auteur de l’ouvrage ?  A quel prix ?
  3. La morale, les convictions, doivent-elles être reniées, au nom d’une complaisance intellectuelle ou d’un droit à la liberté d’expression ?
  4. Est-il possible de concilier et la morale et la littérature ?

Je devrais commencer par définir la pédophilie alors même que Matzneff lui-même, ainsi qu’abondent ses amis du gratin intellectuel, ne se déclare pas comme tel.  Selon ses dires, il n’y a aucune violence auprès de ces pré-pubères  (filles comme garçons) qui sont consentantes et qui, selon leurs témoignages une fois atteint l’âge adulte, gardent un souvenir ébloui de cette relation avec lui.  En d’autres termes, il y a une loi, mais visiblement celle-ci peut être modulée au cas par cas, d’où justement la mobilisation de la gauche bobo et intellectuelle lors des années 70.

Restent les ouvrages de l’auteur.  Le dernier en date, « Les Emiles de Gab la rafale, éd. Léo Scheer 2010 » en lice pour le prix Renaudot, relate ces échanges mails avec ses jeunes conquêtes.  De prime abord, je pourrai ouvrir une parenthèse et croire que Matzneff n’aurait pas eu tant de succès médiatique s’il n’avait pas eu l’outrecuidance de relater ses coucheries interdites.  Parenthèse fermée.

Selon les discussions que j’ai eu avec les uns et les autres, Matzneff est soit, pour certains, un grand écrivain (de tous les temps) pour d’autres, pourtant fins connaisseurs, un auteur dont la griffe est incontestable mais à l’écriture tellement classique qu’elle en devient soporifique, appuyée en cela par un contenu somme toute assez limité, à savoir son goût pour l’amour ou la baise, même si celle-ci est exprimée avec plus de délicatesse à travers toute son œuvre.

Voilà pour le décor planté.

La littérature a le mérite d’exister et de permettre ainsi à tout et chacun d’y avoir un droit : celui de la liberté d’expression.  Moyen de communication vital pour tout être, encore plus pour l’homme vivant en société qui se proclame démocratique et respectueuse des fondamentaux de la liberté.

Si la littérature permet à des auteurs comme Céline d’avoir vu le jour, au grand dam de ses détracteurs, elle aura eu surtout pour conséquence de permettre aux lecteurs de cet auteur d’apprécier son style et de s’ouvrir à la réflexion.

L’intérêt d’un écrivain extrémiste dans ses idées ou dans son comportement, ouvre le débat et conduit à adopter, si pas une position, au moins une prise de conscience sur le sujet développé.

Un Matzneff en littérature aurait donc une double conséquence positive : celle d’être en présence d’un orfèvre de l’écriture (c’est selon), et celle, tout aussi nécessaire, d’éprouver la conscience de  l’homme.

La question qui s’ensuit revient à se demander si la morale, les lois, les convictions et les gardes-fous sont à supprimer, voire à être reniés au nom de la liberté d’expression, au nom de la littérature.  Pour autant que cette morale, ces convictions, ces lois ont encore un sens dans notre société d’aujourd’hui.  La société actuelle doit-elle encore consolider ses fondations sur des valeurs, ou bien la liberté absolue est-elle de mise ?

Selon cette dernière question, le lecteur sera considéré ou non comme un complaisant intellectuel vis-à-vis d’un auteur comme Matzneff.

Selon cette dernière question, l’opinion fermera ou non les yeux sur l’auteur vis-à-vis de son œuvre.

Et selon cette dernière question, l’évidence saute à nouveau aux yeux : il est un droit pour tout et chacun de s’exprimer, la littérature étant une arme pour la liberté.

Pour finir, en littérature, il serait donc absurde de confondre l’auteur et ses œuvres. Tenir compte de l’auteur en tant que tel pour ensuite condamner ses œuvres et inversement serait une aberration.

Par contre, des œuvres peuvent heurter des consciences et des sensibilités, même si l’écriture est sublime.

Les questions soulevées me paraissent excessivement complexes car il me paraît très difficile d’être en mesure de taire ses émotions face à un contenu alors que le but, justement, de la littérature est de susciter celles-ci.

Se rendre transparent et inexistant afin d' être disposé à prendre la pleine mesure d’un texte me paraît utopique.  Le lecteur n’est pas qu’un cerveau sur pattes.

Alors, que Matzneff soit un auteur pédophile ou pas, telle n’est pas en réalité la question. Car de lui subsisteront seulement ses écrits, le jour où il sera dix mètres sous terre.

Les seuls critères qui comptent face aux écrits, c’est l’émotion.  Toute la force de la littérature se trouve là.  Il s’agit, au fond, dans le domaine de la littérature, d’une possibilité à les exprimer, quel que soit le contenu.

Les autres questions que Matzneff aura induit chez moi sont de l’ordre de la métaphysique et/ou de la psychologie.

Elle relèvent principalement de la définition de l’amour, ainsi que des possibilités à des pré-pubères (voire des enfants) de les vivre authentiquement, de manière équilibrée.

La différence d’âge jouant un rôle décisif quant à l’ascendance que pourrait avoir un Matzneff face à ses jeunes n’est plus à démontrer.  Et de l’autre côté, ces pré-pubères, ont-ils un développement psychique suffisamment abouti afin d'être en mesure de s’ouvrir librement et pleinement conscients à l’amour ?

Et enfin, concernant l’amour, peut-on le nommer ainsi lorsqu’il est principalement le fait du désir face à un jeune corps ou qu'il est le fait du vécu dans le libertinage ?

Mais là, nous ne sommes plus dans la littérature …

Beaucoup d’interrogations, aucune porte fermée, vous l’aurez constaté …

Savina de Jamblinne.


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