A l’heure des débats sur la réforme des retraites, deux problématiques connexes méritent une attention particulière : l’emploi des seniors d’une part, celui des jeunes d’autre part.
D’un côté, avec des taux d’emploi sensiblement inférieur à la moyenne européenne (39% vs 46%) et une large augmentation du chômage (+17,1% sur un an), les seniors peinent manifestement à demeurer dans le monde du travail.
Pour leur part, les jeunes ne sont pas beaucoup mieux lotis. Leur entrée dans la vie active est toujours plus retardée et le chômage, diplômes en poche ou non, devient monnaie courante, et prend pour certains un caractère inéluctable.
Ces deux générations restent années après années les cibles privilégiées du chômage et de la précarité. Si le contexte économique et le culte de la performance et de l’efficience jouent un rôle majeur dans cet état de fait, les préjugés tenaces à l’encontre de ces deux générations y participent également.
Des conflits intergénérationnels ? Quels conflits ?
De nombreux ouvrages rendent compte de la présence inévitable de conflits intergénérationnels dans l’entreprise. Ceux-ci dressent des profils types des différentes générations, qui se partagent actuellement le marché du travail (baby boomers, génération X, génération Y) et dont les représentations du monde et du travail sont présentées comme inconciliables.
Ces théoriciens et leurs ouvrages permettent, certes, d’éclairer ou de démêler certaines situations. Cependant leur simple existence et leur postulat alimentent la défiance des entreprises à l’égard de la cohabitation de ces générations (baby boomers et génération Y en particulier).
Mais qu’en pensent les premiers concernés ? Perçoivent-ils les relations transgénérationnelles comme conflictuelles ?
Une importance accordée au facteur relationnel partagée par les deux générations
Un récent sondage publié sur le site En ligne pour l’emploi par OpinionWay souligne l’importance que revêtent les relations que l’on noue dans l’entreprise. C’est avant tout la qualité de notre entourage qui génère de la satisfaction à travailler dans l’entreprise : près de 80% des jeunes salariés comme des seniors déclarent que ce qu’ils aiment dans leur travail ce sont les personnes avec lesquelles ils travaillent et placent ce facteur en première position.
Et des salariés qui apprécient la cohabitation
Les salariés des entreprises dans lesquelles seniors et jeunes salariés sont répartis à parts égales déclarent à la quasi-unanimité être satisfaits de cette répartition (98%). Par ailleurs, 82% des salariés, toutes entreprises confondues, affirment aimer travailler aussi bien avec de jeunes salariés qu’avec des seniors.Aussi ces relations semblent-elles être vécues sereinement.
Cependant les jeunes salariés préfèrent et favorisent le travail entre jeunes
Certains éléments viennent nuancer cet idyllique tableau. Les jeunes salariés se révèlent nettement moins conciliants que leurs ainés (62% seulement déclarent apprécier travailler aussi bien avec les jeunes qu’avec les seniors) et affichent plus nettement leur préférence à travailler avec leurs semblables. De surcroît, les répartitions favorisant la présence des seniors, voire leur omniprésence, sont moins appréciées que toute autre répartition.
Cet ostracisme modéré reflète un malaise des seniors, qui ont connu, ces dernières années, avec l’arrivée de cette nouvelle génération d’emblée plus réticente aux rapports issus de l’autorité statutaire, une difficulté croissante à se faire entendre, à encadrer une équipe et à susciter le respect. Des difficultés qui peuvent rendre pénible l’ambiance de travail et impacter leur motivation et en conséquence leur performance. Or c’est précisément sur la performance que les plus jeunes salariés jaugent aujourd’hui leurs collègues. S’installe alors un cercle vicieux.
Et pourtant une complémentarité plébiscitée dans la durée
Déjà en 2005, une enquête Ipsos démontrait que les jeunes accordaient aux seniors une place toute trouvée. Loin d’être réfractaire au principe de tutorat dans l’entreprise, ils y voyaient l’occasion « d’acquérir une expérience et un savoir-faire inégalables » (86%) auprès du senior. Et, effectivement, ce qui fait l’objet de transmission dans les dispositifs de tutorat est d’autant plus précieux qu’il est non reproductible et transmissible via les systèmes de Knowledge Management les plus avancés.
En outre, la présence d’un senior aux côtés d’un plus jeune, génère d’autres effets positifs : permettre une communication parfois plus efficace sur la culture de l’entreprise et son décryptage et contribuer à déstresser les plus jeunes (76% estiment que ce dispositif agit comme un dé-stress). En témoigne également les plus jeunes à l’occasion de l’enquête plus récente publiée dans 20Minutes, qui déclarent se tourner aussi volontiers vers leurs collègues les plus âgés que ceux de leur âge (34%) en cas de difficulté professionnelle et ce, en dehors du cadre d’un tutorat.
Aussi le tutorat était-il très bien accepté par les juniors (90% d’entre eux estiment que c’est un avantage important que d’en bénéficier) et plébiscité par les seniors (94%) en 2005. Ils sont, par ailleurs, près des trois quarts à juger que la différence d’âge n’occasionne pas de tensions dans le cadre de ce dispositif.
Cinq ans plus tard le système de tutorat est tout aussi bien accueilli : 92% des salariés à l’occasion de l’enquête publiée dans 20Minutes se prononcent pour le développement des systèmes de tutorat. Dans la même veine, à l’occasion d’une enquête réalisée par CSA pour Nouveaux Débats Publics, 69% des salariés interrogés estiment que la présence des seniors dans l’entreprise est « plutôt un atout pour les entreprises, car ces personnes peuvent leur faire profiter de leur expérience et former les salariés les plus jeunes ». Ils sont plus de 70% parmi les moins de 30 ans.
Ainsi, malgré quelques réticences à travailler au contact des seniors les jeunes salariés semblent leur accorder une place importante dans leur environnement professionnel. Près des trois quarts d’entre eux, à l’instar des plus âgés (73%) soulignent la nécessité d’aider davantage les entreprises qui recrutent des seniors, ce qui ne les empêche pas d’être plus nombreux à soutenir qu’il faut aider les entreprises qui recrutent des jeunes salariés (87%).
Si jeunes salariés et seniors ne partagent pas toujours les mêmes valeurs, si des incompréhensions et des réajustements sont de mises, il est important de noter que les uns comme les autres ne perçoivent pas d’incompatibilité notoire à travailler ensemble. Bien souvent, c’est dans la résolution de ces incompréhensions, dans la confrontation et dans les réajustements que l’on trouve un équilibre nouveau favorable à une performance accrue de l’entreprise et à une implication plus grande des salariés, dans les périodes les plus fastes comme dans les plus délicates.
Pour autant, il peut sembler réducteur de cantonner le rôle des seniors en entreprise à la simple transmission de savoir et à la mise à disposition d’une expérience plus riche. Au-delà de la responsabilité des entreprises à trouver le rôle exact de ses seniors et l’équilibre générationnel correspondant à son activité, la question se pose plus généralement pour notre société d’offrir une place entière à ses seniors. A l’heure où la problématique du financement des retraites mobilise l’ensemble de notre pays, on peut se demander si cette question n’est pas en train d’être oubliée.