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**** Ananissoh Théo, Ténèbres à midi.

Par Ferrandh

ananissohthotnbresmidi.jpg« Ou l’humiliation ou la mort », p.84.

Théo Ananissoh, romancier togolais né en 1962, auteur de Lisaholé (2005) et d’Un reptile par habitant (2007), ressemble fort au personnage principal de son dernier roman, Ténèbres à midi ; celui-ci – son nom restera une inconnue -, écrivain lui-même, exilé tout comme son créateur en Allemagne après avoir fait ses études en France, revient pour un mois au pays natal après vingt ans d’exil, le temps de trouver matière à un nouveau roman qui pour la première fois se déroulera dans sa nation d’origine. Autobiographie ? Auto-fiction ? Dans une interview accordée à Afrik.com, le 17 mars 2010, Théo Ananissoh assure qu’il n’en est rien, tout n’est que fiction. Et pourtant le lecteur est en droit de rester dubitatif face à telle assertion tant les deux personnalités sont concordantes et le pays, cadre scénique, similaire au Togo. Auto-fiction inconsciente ? Quoiqu’il en soit, il est important pour son prochain roman que l’auteur narrateur prenne à nouveau pied dans une Afrique qu’il a perdue de vue ; dont il s’est « déhabitué » : « Un pays où l’on est né mais où l’on ne gagne pas sa vie est plus imaginaire que concret », p.19. Il doit retrouver les sensibilités des lieux, des personnes. C’est à ces fins que Nadine, une amie, lui présente un jeune et brillant haut fonctionnaire, Eric Bamezon. Les similitudes entre les deux hommes sont frappantes : l’un comme l’autre, intellectuels, ont pris le chemin de l’exil, ont poursuivi leurs études supérieures à Paris, sans avoir l’intention de revenir dans l’immédiat au pays. Cependant Eric Bamezon, sollicité par le Président - potentat-assassin -, a pris la décision du retour, trois ans de cela, afin de faire partager à sa nation son savoir, son expérience. Il a tout abandonné pour l’Afrique et son peuple. Entomologiste, l’écrivain l’écoute, l’observe des heures et des heures et finalement parvient à cette interrogation, « N’ai-je pas peur de l’Afrique en réalité ? », p.79. Il est vrai que celui qu’on lui présente est une personne désabusée, fataliste, lasse et brisée. Soumis aux caprices criminels du Président, vautour qui hante le roman, se sachant sur la sellette, condamné d’un instant à l’autre, Eric Bamezon n’ai même plus animé de ce faux-courage d’exposer au tout public de sa déchéance un dernier faisceau de faux-semblants. Mais qu’on se le dise, la dictature ne serait pas en droit de se prévaloir à elle seule de la chute d’Eric Bamezon. Non, c’est l’Afrique dans sa substance même qui l’a détruit. Le jugement certes lapidaire du jeune fonctionnaire, feu idéaliste, ne saurait être révisé, l’Afrique lui est « dégueulasse ». Les Africains lui sont des êtres « rustres » évoluant dans les « ténèbres » et la « bestialité » !  La grandeur des empires passés du continent noir à l’exemple du royaume d’Abomey ? Il n’y voit que civilisations barbares ayant favorisé l’esclavage. Seule la parenthèse coloniale a ses faveurs ; la faveur insultante d’un être qui va mourir. Tout est dit dans cette sentence et ce conseil adressés à l’écrivain :

« C’est tout sombre et vide ici. (Il regarde Nadine.) Tu as raison. Je ne supporte plus d’être au milieu d’eux. (A moi) Bestia (le Président) prend plaisir à assister à l’agonie de ceux qu’il empoisonne ; voilà ce que je dois côtoyer. Moi qui ai rêvé de me consacrer à l’art. (Il me saisit le bras _ une pression ferme , désespérée.) Ne commets pas la même faute que moi, ne sois pas sentimental, ne fais pas de concession à l’Afrique. Si tu commences, elle n’arrêtera plus. », p.69 et 70.

Le lecteur ne saurait se tromper en voyant dans Eric Bamezon le reflet du narrateur, lui qui aurait pu prendre aussi la décision de revenir au pays et d’y travailler, de participer à son redressement. Tous les deux appartiennent à un monde bien différent des rivages de cette Afrique : ce sont des intellectuels formés aux fameuses Lumières occidentales fardées de leur contrat social qui brille par son idéal, son utopie. Mais dans ce pays, vaut-il quelque-chose ? Pourquoi vouloir y trouver un sens à tout ? Pourquoi y rechercher une quelconque once de moralité ?

Ténèbres à Midi est un roman fascinant dont la percussion ne laisse aucunement indemne son lecteur. Sa violence lancinante dans cette danse du cygne mourant inspire chacune des pages, chacun des mots. L’écriture faite de sobriété, d’économie, accentue une pression dont on ressent le dénouement tragique inéluctable. Théo Ananissoh se faisant ici iconoclaste est une nouvelle fois la consécration d’une littérature togolaise inspirant les plus belles réussites. Pensons entre autres à Kossi Efoui ou bien encore à Awumey Eden.  

 Ananissoh Théo, Ténèbres à midi, Continents Noirs, Gallimard, 139 p., 2010.


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